Le jour d'avant

Juste avant. Que ça ne bascule. Avant que la marche arrière ne soit plus possible. Que les gestes, les mots n'aient pas encore portés à conséquence. L'insouciance de l'insoupçonné. Pas uniquement pour les regrets qui peuvent découler ou pour ce qui aurait été mal fait. Mais pour la conviction. Pour ce putain d'état où il ne peut y avoir analyse. Où tout n'est qu'action évidente. Dans "Le jour d'avant" c'est la dureté de la responsabilité qui pèse sur les épaules de Michel. De ce soir où la vie devait être au-dessus de tout. Où il n'était question que de vivre joyeux, son frère derrière lui. Rien n'était simple. Mais tout était encore beau. Et puis le réveil. La marche funèbre. Des dizaines de morts dans la mine. La sidération des habitants. Le souffle glacé du drame collectif. Les rues silencieuses. Les cortèges aphones. Puis tout s'enchaîne, le suicide du père, la décrépitude maternelle, la fuite, ailleurs. Ce n'est pas l'histoire d'une vengeance. C'est l'histoire d'une tristesse que personne ne peut aider. Elle découle d'un passé collectif. D'une appartenance aux gueules noires et aux sacrifices de générations. C'est l'histoire des hommes face à leurs consciences collectives, comme celles des poilus dans leur défense du pays. Là, c'est la fierté de le chauffer, de l'allumer. Car l'exploitation de masse ne peut se faire sans la conviction altruiste des travailleurs. À l'image de nos profs et de nos infirmières aujourd'hui. Délaissés, mais toujours là. Je n'ai pas lu le roman, je vais me jeter dessus mais ce sera sans comparaison, tant la beauté de l'œuvre de Romain Dutter et de Simon Géliot pourrait se suffire à elle-même. Les traits acerbes. Les mots justes. Une vraie claque. Alors une fois que c'est fait, que les actes ont percé un sillon dans notre histoire, on fait quoi ? Chacun trouvera sa manière de les assumer, dans la repentance, le déni ou l'acceptation. Dans tous les cas seul le jour d'après est intéressant d'imaginer.