Fata Morgana

Quelle claque ! La plume gracieuse de l'autrice nigériane nous propulse dans un univers souvent tabou et méconnu, celui de la prostitution et de l'émigration féminine. Dans cet ouvrage, Chika Unigwe nous parle aussi de la société nigériane, de la pression familiale, des abus, de viol, de la guerre mais ce n'est pas pour autant un roman sombre qui victimise les femmes, car malgré leur désillusion, un véritable désir de survie et élan d'espoir bouillent en chacune d'elles. J'ai trouvé ce récit passionnant, les personnages attachants et ce fut difficile de les quitter lors des dernières pages. J'avais tellement envie d'une suite ! Facile à lire, je recommande chaudement ce livre à tous !

Elles sont quatre : Sisi, Joyce, Ama et Efe. Elles viennent du Nigéria et travaillent maintenant pour Madame, dans le quartier rouge d’Anvers. Toutes les quatre (sauf peut-être Joyce) sont venues en toute connaissance de cause, sachant très bien qu’elles ne seraient pas nounous ou bonnes, mais prostituées. Elles doivent rembourser 30 000€ à Dele le proxénète qui leur a payé le passage en Belgique, 500€ par mois tout de même sans compter le loyer, 500€ encore mais par semaine cette fois pour une chambre minuscule dans la maison de Madame… Autant dire que les rêves d’une vie meilleure sont vite confrontés à la dure réalité. Un jour, Sisi disparaît. Quelques heures plus tard, Madame annonce à ses pensionnaires que Sisi est morte. Tuée. Et alors que ces femmes ne faisaient que cohabiter sans vraiment se connaître, la mort de l’une d’entre elles va les pousser à se parler, vraiment, et chacune va raconter son histoire.  Chika Unigwe, nigériane, n’occulte rien des terribles difficultés de la condition féminine en Afrique Subsaharienne. Sisi, bien que titulaire d’un diplôme universitaire, se rend compte au bout de deux ans et des centaines de curriculum vitae envoyés qu’elle n’obtiendra jamais le poste qu’elle espérait… Ama, pourtant née dans une bonne famille, très religieuse, doit fuir chez une tante… Efe, mère célibataire abandonnée par le père de son enfant et ainée d’une fratrie n’a pas de solution pour subvenir aux besoins de sa famille… Quant à Joyce, victime de la guerre au Soudan, a cru un instant avoir trouvé l’amour… Elles n’avaient pas le choix, quitter Lagos et la misère leur semblait la seule alternative possible, en dépit du sort qui leur était promis. L’auteure a mené une véritable enquête journalistique pour écrire ce livre qui est un véritable  roman. Aucun jugement dans l’écriture de Chika Unigwe, aucun sentimentalisme excessif, pas de misérabilisme. Non. La vérité, dérangeante mais sans fard et crue sous les lumières des vitrines de la Vingerlingstraat d’Anvers. A noter quelques passages particulièrement savoureux, parsemés d’humour qui allègent fort heureusement le récit. Tragique, poignant, édifiant, le destin de ces femmes m’a profondément touchée.