Installé à Aytré en Charente-Maritime, il vient de signer la version française du roman américain “Le jeu de la Dame”, qui a inspiré la série sur Netflix et sortira cette semaine en librairie.
Ce satané mot. “Shallow”. Si doux à l’oreille, si agaçant pour Jacques Mailhos. Ces deux syllabes ont contrariés, ce lundi matin, sa séance de travail. Un grain de sable apparu dans un polar du Californien Ross Macdonald, qu’il est en train de traduire. “C’est un adjectif qui n’a en français que des équivalents par défaut, des formulations négatives, comme “peu profond”. ” Finalement, il a opté, puisqu’il s’agit d’un étang, pour “les hauts-fonds”.
Mais les mots les plus “piégeux” pour le traducteur sont souvent, paradoxalement, les plus connus. Par exemple “you”. Trois lettres universelles, milles nuances. “Trancher entre “tu” et “vous”, cela implique de réfléchir à l’époque, à l’évolution de la relation entre les personnages, à leur statut social...” explique-t-il, alors qu’il reçoit “Sud Ouest” chez lui à Aytré (17), pour parler de sa dernière aventure éditoriale, pas tout à fait comme les autres.
Soixante livres
En novembre, il découvrait sur Netflix, épaté comme des millions d’entre nous, la série “The Queen’s gambit”, l’ascension d’une orpheline prodige au jeux d’échecs. “Jamais je n’aurais imaginé qu’on me demanderait un jour de traduire sur le texte !” Un jour ? Mi-décembre, coup de fil de son éditeur, Oliver Gallmeister, propriétaire des droits du roman (lire ci-contre). Face au succès colossal de la série, il souhaite publier au plus vite une version française. Voici donc, comment, cette semaine, “Le jeu de la Dame” atterrira par dizaines de milliers d’exemplaires dans les librairies.
C’est le soixantième livre américain que traduit Jacques Mailhos, 52 ans. Son compagnonnage avec les mots a commencé par de brillantes études littéraires. Hypokhâgne, khâgne, puis l’ENA de la république des lettres, Normale Sup. Poursuivi avec une thèse sur Joyce, vaste entreprise jamais finie. À l’époque, il se destine à devenir prof de lettres, tout en traduisant des textes de sociologues américains très en vogue. Ceux d’Howard Becker, notamment, dont les travaux sur la marginalité ont marqué des générations d’étudiants.
Peu à peu, le jeune homme s’éloigne de l’enseignement pour bifurquer vers la traduction. Deux disciplines qui sont à ses yeux les filles jumelles d’une même passion pour la langue.
En 2005, il rencontre un certain Oliver Gallmeister, depuis peu éditeur. Bientôt un ami, et son principal employeur. “Oliver m’envoie des textes à flot continu, si bien que je travaille quasi exclusivement pour lui”.
Il officie tous les jours, de 8 à 17 heures. Dans son bureau, le livre à traduire est dressé sur un pupitre, sous une lampe. Jacques Mailhos se partage entre partition et son écran d’ordinateur, décomposé en une multitude d’onglets.
Des dictionnaires en ligne, mais aussi des outils plus spécifiques, comme un moteur de recherche évaluant les occurrences d’un mot dans la littérature depuis trois siècles. “Cela me permet de vérifier qu’un terme n’est pas en décalage avec l’époque de l’histoire. Par exemple, si je traduis un texte des années 1960, je pourrais utiliser l’expression “c’est sensass’ !” mais pas “c’est mortel”.
Le sens et le style
Le traducteur dit passer une grande partie de son temps à slalomer non pas entre l’anglais et le français, mais... du français au français. “Le texte en anglais, à l’exception de quelques mots rares, je le comprends et traduis spontanément en français. Tout le travail ensuite, consiste à affiner cette matière en français, pour se rapprocher au maximum de ce qu’a voulu exprimer l’auteur.”
“Traducteur, trahison”, dit une vieille formule. Jusqu’où un traducteur réécrit-il un texte ? Si un auteur commet trop de répétitions, peut-il choisir par exemple des synonymes ? “Si je sens que ces répétitions révèlent d’un choix formel, maîtrisé, il faut les respecter. Notre travail consiste à restituer le sens mais aussi le style.”
Plusieurs distinctions ont salué la qualité des transpositions de Jacques Mailhos. Prix Amédée-Pichot, prix Maurice-Edgar-Coindreau... Important quand on exerce un métier encore si peu visible. “Nous sommes davantage reconnus que par le passé, parfois invités dans les librairies. Il y a même un nouveau rituel, la “joute de traduction “, une sorte de battle sympathique, lors de laquelle deux traducteurs s’opposent sur leurs versions d’un même texte.”
L’image de ce métier est aussi solitaire -“c’est assez vrai”- que précaire. “On est payé au feuillet. On peut en vivre décemment, à condition d’avoir du boulot régulièrement”, livre encore Jacques Mailhos.
9aiment∙1commentaire
Yoo See On
J’ai vu le film sur Netflix et je suis bien tenté de lire livre 🙂
Jacques Mailhos, profession traducteur
9aiment∙1commentaire
Yoo See On
J’ai vu le film sur Netflix et je suis bien tenté de lire livre 🙂
1321 jours
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