Le monde d'hier

Il aurait pu s'appeler Génération éprouvée, Ces jours enfuis, ou encore Les Années qu'on ne fera pas revenir... Le Monde d'hier retrace à la fois la franche camaraderie d'un monde littéraire, une jeunesse envoyée en mitrailles sur les deux plus grands fronts du XXème, et la nostalgie incandescence d'un ancien monde. Zweig nous ouvre avec pudeur l'intimité de ses cinquante dernières années, où il connut la richesse opulente, la pauvreté misérable, la liberté extrême et la privatisation des droits, au gré de son succès. C'est l'histoire vraie d'un juif devenu apatride alors qu'il revendiquait appartenir au monde, européen de cœur, mais viennois d'abord, éduqué à la courtoisie d'un siècle déchu, parcourant les nations comme des amies, jusqu'à ce qu'un homme anéantisse le doux songe dans lequel il rêvait à la vie d'après. Chemin faisant, nous partons à la rencontre des autres génies de son temps, avec qui il correspondait, débattait et se querellait parfois. Un profond regard sur cette période, modeste et humain, avant le suicide de cet auteur d'exception.

Zweig raconte son monde "d'hier", l'insouciance et le foisonnement intellectuel de Vienne avant le cataclysme de la Grande Guerre. Mais son livre est surtout une longue prémonition : il fait preuve d'une lucidité et d'une clairvoyance inimaginables à l'époque. Tout ce qu'il annonce comme inévitable eut bien lieu après son suicide. Les derniers mots de son ultime lettre furent : "Je salue tous mes amis. Puissent-ils voir encore l’aurore après la longue nuit ! Moi je suis trop impatient, je pars avant eux."

C’est le témoignage d’une époque. De la société viennoise d’avant la première guerre mondiale jusqu’à la seconde. Les changements de société vécus de l’intérieur par l’auteur.

Bien sûr, c'est un formidable témoignage sur une époque, ce que toute critique ou commentaire doit relever. Mais comme tout Zweig c'est aussi la finesse de la pensée, le rejet du totalitarisme du jugement. Me fait penser en cela à Camus.

« Le monde d’hier » s’ouvre sur une constatation douloureuse : avoir grandi dans un monde de paix porté par la foi dans le progrès n’en rend que plus amer le délitement qui s’en suit vers l’entre soi et la violence d’un univers que l’on croyait naïvement éternel. C’est un citoyen apatride qui nous conte les maux de son être - reflets des horreurs du XXeme siècle. Je recommande pieds et mains liés.