Les graciées

Il m’aura fallu du temps pour essayer de mettre des mots sur ce roman. Lorsque j’écris un avis qui a pour thème des événements et des faits aussi importants et tragiques, je frôle sans le faire exprès la démagogie car le sujet m’importe beaucoup et j’ai toujours peur de tomber dans le sexisme passif. J’essaye aussi d’être le moins possible dans le jugement intrinsèque du livre, et plus dans l’expression des sensations que j’ai ressenties pendant ma lecture. Je pense que cela compte beaucoup plus qu’un déboulé de propos dithyrambique ou de faire un réquisitoire. Tout ceci est bien trop subjectif et les sentiments par lesquels je suis passé donnent plus de crédit à mes dissertations. C’est un avis très personnel évidemment. Pour ce roman, respecter ces règles que je me suis fixées sera beaucoup plus compliqué. Il traite d’évènements abjects s’étant véritablement déroulés. Les antagonistes sont détestables, aucune empathie pour aucune de ces personnes n’est apparue à aucun moment de ma lecture. C’est très simple, les actions de ces derniers m’ont simplement donné la nausée. Ouvrir cette œuvre revient à s’exposer aux plus grandes bassesses de l’être humain sous prétexte d’une croyance telle, qu’aucun respect pour la différence n’est accepté. Pour ces personnes, une seule vérité existe. Attendez-vous à être outrés, mal à l’aise, choqués et furieux. Toutes ces émotions ne seraient pas possibles sans l’écriture incroyable de l’auteure. Kiran Millwood Hargrave réussi à créer cette sensation désagréable d’être face à une injustice ultime, être témoin de sévices incroyablement honteux, tout en étant incapable de faire autre chose que de tourner la page en se demandant si un Deus Ex Machina viendra sortir les protagoniste de cet enfer. Car ces derniers sont aussi parfaitement bien développés. Je devrais même écrire développées car nous serons en présence de femmes au grand courage. Des femmes que cette société ancienne n’épargnera pas. Des grandes et puissantes amitiés vont se créer , les volontés vont évoluer, et les pages narrant cette belle relation naissante agiront telles des Oasis au milieu d’un désert de flamme et de haine. Ce roman est beau et puissant. C’est un livre que je recommande à toute personne en quête d’une vérité. Non pas une vérité divine, je ne suis pas un messie venu vous présenter la bible. Loin de moi cette idée. Mais la vérité est que ces horreurs ont existé, et qu’elles existent encore dans des régions de notre planète. On ne peut que s’affliger de se rendre compte que des hommes et des femmes bien trop dévoués à leurs croyances n’ont cessé, et ne cessent encore de nous imposer leur doctrine par la force. Cette lecture est difficile, mais terriblement importante.

Un roman stupéfiant, tiré d'événements historiques bien réels. Kiran Millwood Hargrave nous entraîne sur Vardø, une île au bord du cercle polaire, dans le quotidien très rustique des pêcheurs et éleveurs qui y vivent, dans une société qui devient quasi exclusivement féminine par la force des choses. L'alternance des points de vue entre Maren, originaire de Vardø, qui a perdu père, frère et fiancé dans la tempête, et Ursa, jeune fille de Bergen mariée de force à un chasseur de sorcières, apporte du dynamisme au récit. Je repose ce roman, sous le choc, éblouie. Une autrice au talent brut, à suivre !

L’île de Vardø avec sa forteresse, gardienne de la mer de Barents, est un caillou balayé par les vents et le tumulte de l’océan. En 1617 elle est peuplée de pêcheurs et quelques Samis, derniers lapons, peuple aux pratiques chamaniques, semi nomade suivant la migration des rennes, chasseurs l’hiver et pêcheurs dans les fjords dès la fonte des glaces. À cette époque le pays est appelé Danemark-Norvège, royauté avec à sa tête Christian IV, luthérien convaincu. Le roi Christian veut instaurer une société à son image, austère et stricte, une chasse aux sorciers et sorcières avec ses dérives est alors organisée. En cette veille de Noël 1617, un ban de poissons est repéré dans la froideur des eaux sombres de l’océan. Les quarante pêcheurs du village sont à pied d’œuvre, les rames des bateaux se déploient, petites barques au loin semblables à des coquilles de noix avec leurs fanaux vacillants. Puis l’inexplicable survient. « Tout à coup, la mer s’élève, le ciel s’abat, des éclairs aux reflets verts jaillissent partout, les ténèbres se figent sous leur clarté terrible, instantanée… plus aucun bruit ne résonne hormis ceux de la mer et du ciel et de toutes ces lumières soudain avalées et des barreaux qui scintillent et des bateaux qui tourbillonnent, bateaux qui volent, qui virevoltent puis disparaissent, engloutis. » Les femmes de Vardø, seules sur cette île vont s’organiser pour survivre, pêcher, chasser. Chacune d’entre elles doit trouver ou revendiquer sa place. Maren, à peine vingt ans garde un œil vigilant sur ses compagnes d’infortune jusqu’à l’arrivée du délégué envoyé par le roi afin de remettre la gente féminine à sa juste place, aux fourneaux… C’est un roman d’amitié fortes, de complicités entre croyances religieuses et coutumières C’est un véritable voyage dans le temps, une vie rude et froide qui m’a ensorcelée. J’ai été tenue en haleine par ce récit à l’ambiance feutrée,  fascinée par ces contrées inhospitalières. Une belle écriture.

J’ai acheté ce livre en me demandant pourquoi ? Pas forcément le style de mes lectures habituelles ( plus légères ) et passée la mise en place de l’histoire et la rencontre de Maren et Ursa, j’ai été embarqué à Vardø pour ne plus en bouger, témoin de cette façon simple de vivre et bouleversante d’être attaqué par les éléments ou par les hommes. « Aux âmes bien nées, la valeur n'attend pas le nombre des années » se confirme avec la trentaine de L’auteure Kiran Millwood Hargrave, que de belles lectures en perspective...

Quelle belle lecture ! Des personnages très affirmés et attachants, une écriture qui vous emporte, un sujet sombre et instructif, un cadre nordique comme je les aime... Un succès !