L'enfer de Church Street

Imagine t'es une petite frappe, aux États-Unis, tu viens de faire un petit délit, t'as plus de thunes et tu braques le mec le plus minable que tu croises. En plus trop bien, le mec se laisse faire, vous grimpez dans sa caisse et là il te fait le coup du "je m'en fous j'ai pas peur de crever", il fait le fanfaron avec la pédale de l'accélérateur et maintenant c'est toi qui commence à flipper sévère. Le petit manège s'arrête quand il te propose un deal. T'es un peu dubitatif (=avoir des doutes, j'ai appris y'a pas longtemps alors je m'en sers) mais t'as quand même failli crever alors t'es genre obligé de faire confiance. Dans trois ou quatre heures, il te file 3000 dollars si... Et c'est parti pour un flashback sur la vie du gars que t'as voulu braquer quelques minutes auparavant. Il te raconte sa descente aux Enfers, après avoir pigé que pour faire des thunes, fallait se placer du côté de Dieu et devenir un de ses soldats pour répandre la bonne parole (enfin surtout dire aux ouailles ce qu'ils veulent entendre). C'est cynique, ça pue, c'est drôle, y'a une vieille odeur de whisky séché dans cette Amérique ou les rednecks sont beaucoup moins cons qu'on l'imagine. Voraces, prêts à bouffer n'importe quoi du moment que ça rapporte un peu de sous ... En clair, l'histoire m'a bien emballé. Vraiment, ça fait pas un pli. Les gars, si vous voulez du bons gros qui tâche, c'est sur ce canasson là qu'faut miser !

L'enfer de Church Street, de Jake Hinkson. Éditions Gallmeister, collection Totem, paru précédemment en Néo Noir. Aout 2017, 8 euros. 200 pages. Il existe, en ce bas monde, des personnages qu'il ne vaut mieux pas essayer de titiller sous peine de représailles (on en connaît tous), il en existe d'autres qui se vexent à la moindre petite remarque anodine (j'en suis), d'autres encore sont insensibles à ce genre de petites mesquineries. Geoffrey Webb, lui, n'appartient pour ainsi dire à aucunes de ces pseudos-catégories d'humains lambdas, c'est le genre de type, qui, un flingue braqué sur sa nuque au volant de sa voiture, ne sourcille pas d'un iota, et continue, comme si de rien n'était, à tapoter la cendre de sa cigarette par la fenêtre. Quelle mouche a donc piqué Paul, de vouloir se frotter à pareil loubard et de tenter de lui dérober son dû ? C'est à dire qu'en apparence, Geoffrey Webb c'est pas John Wayne, loin de là, ou alors un John Wayne 2.0 qui aurait trop squatté le Burger King ou le Kebab du coin de la rue. Pourtant, il n'est pas contre, au grand étonnement de son assaillant, lui donner tout ce qu'il désire, à condition (oui ce serait trop simple), qu'ils partagent ensemble un trajet de quelques heures vers une destination inconnue, durant lequel Geoffrey va lui dévoiler sa terrible histoire, le pourquoi du comment de son état physique et psychologique du moment, celui d'un homme qui n'a plus rien à perdre. Nous sommes donc plongés dans le passé de Geoffrey Webb, ancien religieux de petite vertu, et le moins que l'on puisse dire c'est que ce n'est vraiment pas reluisant, étouffant et oppressant au possible, cynique et d'une violence inouïe . Sous la plume de Jake Hinkson, qui a, je pense, été baigné dans un entourage religieux et n'en a pas gardé que des bons souvenirs tant les assauts contre cette Église Baptiste sont ciblés et virulents, visez plutôt : "Mais c'est exactement la raison pour laquelle la religion, pour l'essentiel, est une escroquerie. En dépit de toute son histoire et de son prestige, de tous les bâtiments construits pour l'honorer et de tout le sang versé pour la diffuser, la religion n'a rien de différent des lignes de la main ou de l'interprétation du marc de café." . Cette Amérique profonde, qui sous couvert de bonne moralité se permet d'accomplir des actes innommables est décrite, au travers de cet anti-héros qu'est Geoffrey Webb, d'une façon profondément réaliste, sans artifices, véritable boulet rouge tiré, non pas contre la Religion en elle même, mais envers l'utilisation qui en est faites (pour changer..) Une petite bombe pleine de noirceur, de vilénie, de veulerie (bref de plein de trucs pas cool) mais qui pourtant nous fait ressentir de l'empathie pour cet odieux personnage qu'est Geoffrey Webb, le miracle de l'écriture et des éditions Gallmeister. #ChurchStreet #JakeHinkson #JefaispasdustopavecGeoffreyWebb

Jake Hinkson livre un thriller exaltant aux allures de road-trip sur les routes américaines, placé sous le signe de la confession et de la mauvaise foi.

On sort ébranlé de cette lecture et on ne sait pas quel parti prendre…