Niyorin- 14/07/2024

🏮 Saules, fleurs et mélancolie

Quel livre saisissant. Puissant, tragique, cruel, mais caractérisé par une des terribles réalités du Japon du début du XXe siècle. La diversité des portraits féminins est absolument remarquable : de la bourgeoise à la travailleuse du sexe malmenée, de la femme stérile à la femme enceinte, de la femme maternelle à la cruelle, l’enfant et la vieille, à bien des égards les portraits psychologiques sont intéressants et bouleversants. Entre la tendresse, l’infortune et la résignation de Tomoko face à une vie ruinée à maintes reprises par sa mère et par le cour de l’Histoire, la protagoniste est une femme vaillante à la tendresse qui a raison d’elle. C’est aussi un modèle de famille qui change à travers les époques et les situations : Tomo-chan et Maman, Ochobo et Kokonoe, Petite-Pivoine et Madame Kuwata, et enfin Tomoko et Ikuyo. Ces portraits glaçants de la mère à travers le regard parfois innocent, parfois jaloux, parfois exaspéré, parfois tendre de Tomoko, Ikuyo est réellement la reine imperturbable qu’elle pense être toute sa vie. Tomoko est-elle lâche ? Est-elle une victime ? Comment se positionne-t-elle ? C’est un raisonnement fascinant qui m’a guidée 500 pages durant et qui m’a tenue en haleine sans aucun problème. Le seule point négatif que je trouve à cet ouvrage est l’insensibilité de la mère de Tomoko, Ikuyo. Pour être franche, j’avoue qu’être complètement antipathique à son enfant est une chose : tout le monde n’est pas forcément enamouré face à la perspective de donner la vie et d’en prendre soin. Cependant, refuser dans toutes les mesures un bon sens et un minimum de moral semble au-dessus des forces d’Ikuyo. Après que sa maison aie été réduite en miette, elle ne creuse pas la terre mais peigne ses cheveux. Je veux bien qu’elle soit prétentieuse, qu’elle refuse le travail inélégant et qu’elle soit imbuvable, mais il y a des fois où c’est simplement exaspérant à lire. De même quand Tomoko lui dit des choses affreuses, à elle ou sur sa propre vie, et qu’elle répond par “Ah bon.” alors que c’est la première à s’émerveiller devant n’importe quel détail insignifiant de Music Hall. Cependant, je pense que c’était délibéré de l’auteur de faire d’Ikuyo cet affreux personnage finalement lui aussi victime du carcan societal, mais on a du mal à percevoir cette lecture sans prendre un peu de recul parce qu’on tient vraiment la pire mère de tous les temps. J’apprécie la subtilité du texte, et le préface de la traductrice l’explique clairement, mais le rôle du lecteur est de garder cette idée en tête. L’autrice critique ici, plus que les défauts écrasants de la mère, sa réduction par les proxénètes qui fait qu’elle se considère elle-même comme un objet intouchable à l’aura impériale. Elle n’a jamais su vivre qu’à travers le regard des hommes. Pour finir, je tiens à ajouter que la traduction est fluide, claire pour le lecteur étranger et même complètement abordable pour quelqu’un qui ne connaît absolument rien de la culture japonaise d’avant-guerre. Le vocabulaire est riche, précis, et les mots japonais difficiles à matérialiser en français sont justement traduits ou justifiés en syllabes alphabétiques.