Éprise de paroles- 04/03/2019

Inquiétante étrangeté

La maison hantée est un récit déroutant où s’entrecroisent insanité et appréhension dans l’entretien d’une angoisse latente chez le·a lecteur·rice dont les mots le·la séquestreront. La plume de Shirley Jackson, maîtresse incontestée du roman gothique, est, comme à l’accoutumée, brillante et rusée mais néanmoins très accessible et rassemble tous les ingrédients nécessaires quant au déploiement d’une atmosphère hypnotique et palpitante. Ce remarquable huis-clos instille à la dérobée un véritable malaise chez les personnages qui rapidement contamine le·a lecteur·rice. L’auteure met alors en péril la moindre de nos convictions, jusqu’à douter de l’existence des personnages, en agissant selon deux points de vue, d’une part schizophrènique, d’autre part paranoïaque. Les relations entre les différents personnages sont obscurs, obliques et ne font que consolider la mise en branle de nos certitudes. Cette maison, hostile, est personnifiée et développée comme la personnage principale du récit, venant alors infester une folie croissante en chacun·e des protagonistes. Le véritable tour de maîtresse de Jackson est la suggestion perfide de phénomènes surnaturels sans en donner la preuve concrète, ne cédant pas aux clichés tapageurs des romans d’horreur : ici, aucun giclement de sang, pas de fantôme ou monstre carnivore mais bien l’abolition de la frontière entre réalités tangible et chimèrique au profit d’une aliénation imperceptible parfaitement incarnée en la personne d’Eleanor, tantôt narratrice, tantôt étrangère au récit, indice trahissant une schizophrénie pénétrante. Le style soigné de l’auteure aspire l’âme des personnages et semble tester les nerfs du·de la lecteur·rice dans une ambiance qui suinte le délire fantasmagorique. C’est un roman absolument captivant et frénétique, qui obsède longtemps après sa lecture