Sur les chemins noirs

Sylvain Tesson est un poète. Il fait des métaphores sans se forcer comme nous ajoutons des virgules. Il est aussi un geographes. Ses descriptions précises et imagées sont celles d'un grand écrivain. Avantage de la poésie : on peut lire plusieurs fois un même livre sans s'en lasser.

Encore une réussite que ce voyage de Tesson dans les anges morts de la campagne française. Il réussit à chaque fois le tour de force de décrire cette nature, faire partager ses pensées sans tomber dans une philosophie naturaliste de salon. De la grande littérature.

«Toi qui entre ici, abandonne tout espoir ! » car ceci n'est pas un livre, ceci n'est pas un roman, ceci n'est même pas de la littérature. «Sur les chemins noirs» est un récit, un peu court peut-être (ah ! des cartes, des détails, des durées, des distances, des noms de villes et villages, des profils altimétriques... ), d'un voyage de plusieurs mois. Le carnet de bord et les réflexions d'une transversale sud-est - nord-ouest pour remettre son corps en route après une «mauvaise chute». Écrire son voyage pour le revivre. Voilà ce que fait Sylvain Tesson. Ses sensations, ses émotions ne semblent pas émoussées, il éprouve du plaisir à marcher, à sentir son corps fonctionner mieux. Et il porte un regard de géographe sur l'évolution du monde, l'évolution des campagnes. Un récit, pas un roman, donc. A lire comme un journal de bord, parfois un peu austère, avec ses réflexions intimes.

En 2014, Sylvain Tesson fait une chute qui aurait pu être mortelle. Un an plus tard, en guise de rééducation, il décide de traverser la France. Du Sud Est au Nord Ouest. Des Alpes à l’Océan. Sa traversée se fera à pied, par les « chemins noirs » : ces pistes, de couleur noire sur les cartes IGN, qui ne prétendent même pas au statut de chemin de randonnée. Dans cet écrit intense et passionnant, Sylvain Tesson nous raconte avec talent sa marche au travers la France géographique, historique, sociologique, botanique, il nous raconte la confrontation de la France rurale à la mondialisation et au fil de sa marche nous interroge sur la façon dont nous voulons vivre notre vie... «C’était un voyage né d’une chute. Certains chemins avaient été suffisamment labyrinthiques et solitaires pour mon goût. Y flottait encore l’odeur des aubépines et des écorces fraîches. J’avais assorti ma balade de quelques trébuchements. Mon arrivée consistait à m’approcher des parapets pour y solder mes comptes et oublier les infortunes. Désormais, s’ouvraient de nouveaux chemins noirs : ceux que je devais inventer, hors du 25 000e. »

Je l'ai lu après en avoir entendu parler lors d'une conférence de Christian Lefaure. Celui-ci n'est peut-être pas le meilleur de ses livres, cependant, écrits par Tesson, les livres de voyages prennent une teinte plus personnelle et paraissent moins répétitifs. D'autre part, bien qu'il dépeigne un récit de vie à la Zola, à l'inverse de Coupeau, Tesson se relève admirablement de sa chute du toit, et apparaît malgré ses quelques références à l'alcool comme un aventurier courageux, un battant, qui décide de reprendre les choses en mains plutôt que de se laisser sombrer. Au fond, une belle leçon, et une envie partagée de fouler les chemins noirs de France à mon tour.