Marcher à Kerguelen

Impossible de ne pas penser aux récits de voyage et d’aventure des livres rouges des Éditions Guerin (pour lequel Francois Garde a d’ailleurs fait une brève infidélité pour son recueil de nouvelles « Lénine a Chamonix »). La longue marche qu’entreprend Francois Garde et ses trois compères a tout d’une belle aventure, un long fil séquencés comme un carnet de voyages où l’on découvre la vie sauvage de l’île Kerguelen. Du vent, beaucoup de vent, de la pluie, des pieds trempés, des campements de fortune, des paysages grandioses, sublimes, solitaires, bruts qui se transforment en joaillerie sous la plume de François Garde. Aussi nombreux que les cailloux sur l’île, le texte est jonchés de magnifiques formules sur le temps, sur la solitude, sur la musique, sur la retraite, sur le silence, sur l’énergie, sur le souvenir, sur la présence de l’homme, sur la communication, sur l’amitié. Bien que similaire aux récits de montagnes, cette marche sur Kerguelen ne rapporte aucun incident, aucune fracture, aucune corde coupée, ni embellie pulmonaire. Le texte, écrit sur le rythme du pas, les pieds mouillés et la crampe aux doigts, est pourtant cent fois plus profond que n’importe quel récit issu des éditions chamoniardes (que j’adore au demeurant). Impossible de ne pas penser à la démarche de Sylvain Tesson qui, comme ici, s’enfuit toujours vers des voyages solitaires pour mieux trouver l’inspiration. Mais la aussi, rien n’est plus différent. Tesson est un aventurier qui écrit des textes magnifiques. Garde est un écrivain qui réalise une aventure magnifique. Le premier taille des textes à la serpe, avec l’énergie d’un cow boy soviétique, le second étale de très belles lignes sur cette balade sauvage, avec la stature d’un notable. Parfois, le récit est un peu long et monotone et on aimerait qu’il soit relevé par l’imprévisibilité d’un Tesson. En réalité, le récit retranscrit très bien la marche qui est elle même un peu longue et monotone. On se perd dans les divagueries l’auteur. C’est cela qui la rend si profonde. Impossible enfin de ne pas retrouver l’émotion puissante que m’avait laissée « Ce qu’il advint du sauvage blanc ». Les thèmes de l’île déserte, de la solitude, de l’océan colorent le récit d’une teinte bleue mer qui donne une sérieuse envie de voyage, si ce n’est de fusion au milieu du sauvage.