Londres-Express

On ne sait pas grand chose de Peter Loughran. Il n'a laissé derrière lui qu'un seul ouvrage notable. La littérature offre d'autres exemples : Tristan Egolf, John Kennedy Toole...On ne possède de l'auteur qu'une seule photo. A ce jour, on ne sait pas s'il est vivant ou mort. La forme est intrigante. L'ouvrage ne comprend pas de chapitre. Le personnage central est un marin qui prend un train pour Londres afin de rejoindre le navire sur lequel il doit embarquer. Le temps du trajet, il se repasse dans sa tête des moments de sa vie : des souvenirs d'enfance, des histoires de marins, de virées dans les ports, de bagarres dans des rades, de visites des bordels.... Entre les épisodes faits de souvenirs, il parle méchamment des autres voyageurs présents dans son compartiment : deux bonnes soeurs, une petite fille... Le livre comprend un avertissement du directeur de la série noire qui fait part de son hésitation à publier la traduction française. On n'est pas sur un roman policier classique... si ce n'est le dénouement inattendu. Et aussi parce que ce livre est fait pour choquer. Encore plus en 2023 à l'époque des études de genre, du wokisme... Un livre punk bien avant l'heure. Londres-express fut écrit en 1967. Le lecteur peut détester la prose de l'auteur, en rire, être fasciné.. Un livre trash qui ne laisse pas indifférent ! Tous les êtres humains sont des salauds. Certains arrivent à cacher leur degré d'ignominie comme la poussière qu'on range sous le tapis. Celui qui est condamné par la justice regrette moins ce qu'il a fait que de s'être fait prendre par d'autres tout aussi dégueulasses que lui. Qu'est ce qui préoccupe l'humanité ? Le sexe. L'auteur recense deux sortes de sexe : le conjugal passablement ennuyeux et le brutal excitant. Chez ce marin, le sexe se résume à la consultation de magazine porno (on est dans les années 60), à une passe avec une prostituée dans une ruelle sombre (mieux vaut ne pas trop regarder), au commentaires entre matelots sur des prouesses sexuelles imaginaires. Il y a là un concentré de misère sociale, intellectuelle et affective. On est au coeur de la working class. Et la bourgeoisie ? Au lieu de taper avec ses poings, elle assassine avec des mots. Elle stigmatise l'ouvrier, je cite, jamais assez récuré, assez savonné... Elle est mue par les mêmes envies, mais sait se faire hypocrite... Au milieu du fumier, pousse parfois une jolie fleur. L'innocence appartient au domaine de l'enfance. Çela ne dure pas. A force de côtoyer les salauds, on le devient soi-même. On répond à la violence en se faisant violent. C'est Mozart qu'on assassine (Saint Exupéry). D'un point de vue anthropologique, on sera assez d'accord avec l'auteur pour considérer que trois choses obsèdent l'humanité : le sexe, l'argent, le pouvoir sur les autres. Reste la possibilité pas évoquée de sublimer dans l'art : la littérature, la musique, le cinéma... à la fois comme producteur et amateur...