Triste tigre

Difficile de trouver les mots pour décrire les émotions ressenties lors de cette lecture. Une femme, son enfance, ses viols, sa vie. Plus qu’un témoignage nous avons là le mécanisme qui vient après l’horreur, après les actes barbares que trop d’enfants subissent. Enfin nous avons la vraie parole d’une personne victime, sa construction après tout ça, et tout ce que ça peut engendrer. Un roman déroutant par sa franchise et sa spontanéité, rien n’est romancé, comme l’autrice le dit si bien : romancé l’horreur c’est faire de l’horreur. A lire et à relire.

Cet inclassable « Triste Tigre » de Neige Sinno est une claque. L’autrice y relate les viols qu’elle a subi enfant par son beau-père. Sans fard. Elle dit, elle décrit avec une précision chirurgicale, elle analyse, elle enquête. Elle convoque la littérature. Pour tenter l’impossible : comprendre. Pourquoi un homme arrive-t-il à une telle abomination qui brise à jamais les petites victimes ? Comment survivre après ? Neige, jeune adulte, a dénoncé son bourreau. Fait rare, il a été condamné. Et pourtant, à bientôt 50 ans, elle n’est toujours pas sauvée. Écrire ce livre n’y fait rien non plus. Mais elle écrit pour en sauver d’autres. Pour dire. Pour rendre visible. Si vous avez écouté le brillant podcast de Charlotte Pudlowski, « Ou peut-être une nuit » vous le savez : dans une classe de 30 élèves de CM2, quelle que soit la classe sociale, 3 enfants sont victimes d’inceste. 3. En parler, encore et encore. Pour que l’enfant abusé l’entende et réussisse à réduire à néant ce trop lourd et immonde secret que le violeur lui demande de garder. Nombreux sont ceux qui m’ont dit au cours de ma lecture : « pourquoi tu t’affliges ça ? ». Parce que ce livre est une oeuvre, peut être même un chef d’œuvre dans la forme, dans le choix du rythme et des mots. Parce que la littérature a ce pouvoir immense de faire circuler la pensée, de montrer la société dans ce qu’elle a de bon ou de mauvais, de faire avancer. Et parce que ce livre est nécessaire, j’en suis certaine.

Dans la sélection du Prix Goncourt 2023, je ne m’attendais pas à trouver une telle lecture… C’est définitivement un livre inclassable ; éprouvant, difficile, éreintant etc. mais, un livre que l’on se doit de terminer tant l’urgence de l’écriture de Neige Sinno se fait ressentir. Il n’y a pas beaucoup à dire car tout est déjà dit et rien ne peut dire l’horreur. « [L’autre lieu] C’est un monde où victime et bourreau sont réunis. » À lire, forcément.

Sinno réussit un coup de maître : elle nous partage son recit (aucun spoile ici : les viols subis par son beau-père quand elle était enfant) en nous mettant en situation non pas de voyeur, mais de témoin. Son écriture est chirurgicale : pas de fioritures, pas d’états d’âmes (qui seraient pourtant légitimes). Elle écrit comme elle parle, pose les questions à voix haute, celles qui dérangent et jamais ne juge alors qu’on veut tous être le juge et l’avocat. C’est une lecture nécessaire qui devrait être abordée le plus tôt possible. Bravo et merci à Sinno pour son courage et son partage.

voici un livre , un essai , une réflexion sur la question de l’art , des violences , de la résilience , c’est dévastant et remarquable !