L'homme qui tremble : un autoportrait

Auteur d'une large œuvre autobiographique, Lionel Duroy répète inlassablement son histoire, son enfance épouvantable entre une mère folle, un père héroïque et mythomane et leurs dix enfants, ses deux mariages, ses deux divorces, ses enfants, sa troisième compagne, ses maisons, etc. Dans ce dernier livre, il explique qu'à chaque fois qu'il relate à nouveau les événements de sa vie d'autres choses surgissent, qu'il n'avait pas vu ou pas compris les fois d'avant. Et finalement on réalise qu'il en va de même pour le lecteur, à chaque livre, l'exposé du même événement apporte quelque chose de nouveau, de plus riche. Duroy explique ici également le lien entre l'enfance et l'homme qu'il est devenu, notamment quelle marque sa mère a laissé qui ressort dans sa relation aux femmes. Et pourquoi il a écrit chacun de ses livres, à quel ressort profond il a répondu, pour "dévorer ce qui le dévorait". Tout s'emboite, forme un tout parfaitement cohérent, tout résonne harmonieusement, dans une écriture qui a atteint une quasi perfection. L'occasion aussi de lire ou de relire l'ensemble de ses livres. Un beau livre et surtout une grande œuvre. Chapeau.

L’occupation de soi, ce qu’il est convenu d’appeler en un terme suffisamment vague pour s’adapter à bien des « dispositifs », l’autofiction, est la ligne de force qui, depuis Serge Doubrovsky et Annie Ernaux, traverse « l’épine dorsale » de la littérature française contemporaine. Contrairement à ce que peuvent en dire ses contempteurs, il ne faut pas voir là un exercice nécessairement narcissique car plutôt que d’écrire sur soi, il s’agirait de le faire à partir de soi. L’un des sommets de l’œuvre C’est le cas des plus beaux « romans » (car c’en est nécessairement toujours puisque par définition le réel est un point de vue) de Lionel Duroy. Depuis son premier, « Priez pour nous », en passant par le magnifique « Le Chagrin » et tant d’autres, cet authentique écrivain, travaillé sans cesse, jusqu’à la souffrance, par cette question de l’écriture dans, pour et avec sa vie, se donne à voir et à lire. De ce point de vue, son nouveau livre, « L’homme qui tremble » (opportunément sous-titré « Un autoportrait ») est sans conteste l’un des sommets de l’œuvre. Il y revient sur le motif des titres précités, la misère affective et bien réelle, auprès de parents bordelais, l’inconséquence du père, la folie hargneuse de la mère, la fratrie d’une dizaine d’enfants qui fait ce qu’elle peut (et le rejettera long- temps pour avoir dévoilé cette vérité crue) ; plus tard les amours et la violence terrible, jusqu’à la dépossession de soi, des ruptures. En somme, l’incapacité à vivre si ce n’est en écrivant. Vivre sa vie, bien sûr, mais aussi parfois celle des autres, Lionel Duroy est depuis longtemps l’un des « ghost writers » les plus recherchés de l’édition. On retrouve donc tout cela, jusqu’à une certaine forme de rédemption, ou au moins d’apaisement, lorsqu’il décide voici quelques années, de quitter Paris pour vivre à plein temps dans sa maison de campagne au pied du Mont Ventoux. La misère affective et bien réelle, auprès de parents bordelais, l’inconséquence du père, la folie hargneuse de la mère, la fratrie qui fait ce qu’elle peut Surtout, cet « Homme qui tremble » est une ode, une ode enchantée à l’écriture. Celle qui sauve et justifie. Pour Duroy, tout manuel de savoir- vivre est un manuel de savoir écrire. Et également de savoir lire (mais au fond, n’est-ce pas un peu la même chose ?). Un exemple : à la page 280, il écrit : « Je me souviens qu’à cette époque je lis Paul Gadenne, que je ne sors pas sans un livre dans ma poche. Et rouvrant à l’instant mon agenda 2011, je vois qu’à la page du mercredi 25 mai j’ai recopié cette phrase de lui, découverte dans “La Plage de Scheveningen” : “Heureux qui sait écrire et dévorer ainsi ce qui le dévore”. » Du vélo sur les routes de Provence Tout est de cette eau brûlante-là. Tout s’y résout, le chagrin justement, le désir, le temps qui passe, la peur (notamment celle des femmes, née de celle, première, de sa mère). Tout n’est plus que pages et phrases. Tout, c’est-à-dire cette vie unique et qui par contraste tend à l’universel. Aux dernières nouvelles, Lionel Duroy va bien ; entre deux chapitres, il fait du vélo sur les routes de Provence. Parfois peut-être, il tremble encore. Mais nous aussi.