Je suis leur silence : un polar à Barcelone

La pétillante et moderne Eva, personnage central, vient donner du peps à une intrigue policière plutôt classique dans sa forme, mais qui reste qualitative. Néanmoins, il y a pléthore de personnages intéressants et bien incarnés grâce à un Jordi Lafebre au trait toujours aussi fabuleux. Le récit est très dynamique et vagabonde intelligemment dans sa temporalité et sa double intrigue. Les messages sociétaux sont très actuels et dénoncent, certes sans subtilités, le fascisme et le patriarcat et c'est toujours ça à prendre. Une bonne lecture qui ne réinvente pas la roue et manque d'un vrai dépaysement à Barcelone que nous vend pourtant le sous-titre, mais qui sait où il va et nous met en confiance jusqu'au dénouement qui va parfaitement dans le ton de son histoire.

Ce roman graphique est drôle, rythmé, légèrement féministe et captivant. Les graphismes collent parfaitement à l'histoire et j'ai adoré suivre cette enquête. Entre récit au présent et récit raconté, je recommande !

Un roman graphique qui nous plonge dans une histoire policière au cœur de Barcelone, à travers les yeux d'une femme schizophrène. Les cases sont divisées entre l'histoire racontée par le personnage principal, le temps présent dans le cabinet du psychiatre, et les voix dans sa tête. Un génie d'écriture et des dessins magnifiques.

Une œuvre magistrale, où se déploient subtilement les méandres de la psyché humaine dans toute sa complexité. Ce roman graphique, d’une rare intensité, nous convie à une exploration introspective, à travers le prisme de l’esprit tourmenté d’Eva, une psychiatre qui, dans une quête presque quichottesque, s’aventure sur les sentiers tortueux d’une enquête criminelle, mue par une phase maniaque qui la consume. La narration, savamment orchestrée à travers une unique séance avec le psychiatre Llull, se distingue par son approche profondément psychologique, où chaque mot, chaque silence, chaque regard échangé semble chargé d’une signification latente. Eva, à la fois protagoniste et observatrice de son propre délitement mental, nous entraîne dans le récit de sa dernière semaine, marquée par une frénésie obsessionnelle qui l’amène à vouloir élucider le meurtre mystérieux découvert la veille de la lecture testamentaire d’un de ses amie. Ce crime, survenu au sein d’une famille aristocratique dont le vignoble, véritable fief ancestral, est la pierre angulaire du pouvoir, devient pour elle le prétexte à une immersion dans les arcanes du pouvoir et des non-dits familiaux. La grandeur de l’œuvre réside dans la manière dont Lafebre capture et restitue les manifestations du trouble bipolaire, en donnant à voir la manie non seulement comme une intensité d’action, mais aussi comme une sorte de clairvoyance désordonnée, une quête éperdue de vérité où la logique et le délire se côtoient, se nourrissent, se confrontent. Eva, assaillie par des voix intérieures, celles de ses tantes et de sa grand-mère défunte évolue dans un entre-deux vertigineux, où le surnaturel devient l’expression exacerbée d’une conscience en ébullition. Ces voix, loin d’être de simples hallucinations, se transforment en entités, guidant, avertissant, conseillant Eva, tout en révélant l’acuité tragique de son état. L’ambiance feutrée, presque onirique, du cabinet du psychiatre contraste de manière saisissante avec l’agitation frénétique qui habite Eva. Llull, devient le miroir impitoyable de cette folie ordonnée, un écho professionnel à une détresse intime. À travers leur échange, Lafebre interroge la condition humaine, la frontière floue entre la raison et la folie, et surtout, la nécessité d’une introspection constante, d’un suivi psychologique rigoureux, même pour ceux qui sont supposés être les gardiens de l’esprit. Quant à la dimension sociale et familiale, elle ajoute une épaisseur narrative supplémentaire, où la richesse, le pouvoir et le silence s’entremêlent dans une danse macabre. Le vignoble familial, véritable personnage à part entière, incarne à la fois la pérennité d’une tradition et le poids écrasant des secrets qu’elle dissimule. Je suis leur silence s’affirme comme une œuvre d’une densité rare, où l’intelligence narrative se mêle à une profondeur psychologique vertigineuse. Jordi Lafebre, par son trait et son écriture, parvient à nous entraîner dans une spirale émotionnelle et intellectuelle, faisant de ce roman graphique une réflexion essentielle sur la santé mentale, la bipolarité, et l’insondable complexité de l’âme humaine.

« Je suis face au docteur Llull. A cause de mon comportement quelque peu ‘excentrique’ ces derniers temps, il est chargé d’évaluer ma santé mentale. Il me demande de lui raconter ma semaine. Je lui explique comment j’ai découvert un cadavre et trouvé l’assassin. Franchement, je suis assez douée pour résoudre des crimes. Et les voix que j’entends dans ma tête ? Bah, j’arrive à les gérer. » Que c’est ingénieux, que c’est bien amené. Jordi Lafèbre nous offre un véritable bonheur de lecture avec ce polar catalan. Un bonheur visuel autant que scénaristique. Et un personnage principal haut en couleurs. Tout est à sa place dans ce récit, un réel coup de cœur.