M. Je-Sais-Tout : conseils impurs d'un vieux dégueulasse

Lorsque John Waters, cinéaste le plus déviant de sa génération, se livre, ne pas s’attendre à de sages mémoires et encore moins à des leçons de maintien façon Nadine de Rothschild. Il a placé Baltimore, État du Rhode Island, sur la carte mondiale de la cinématographie bis ; propulsé Divine au rang de “bombshell” aux côtés de Mae West, Jayne Mansfield et Zsa Zsa Gabor ; triomphé à Broadway avec l’adaptation du pétulant “Hairspray” ; relancé la mode éphémère de l’odorama et a mpeme été honoré lors de la huitième saison des “Simpsons” (“La Phobie d’Homer” - “Homer’s Phobia” - diffusée le 16 février 1997 sur la Fox). Lui ? C’est John Waters, la plus célèbre moustache filet d’anchois depuis Errol Flynn... sauf que la sienne est gracieusement dessinée chaque matin d’un trait de crayon maybelline (Expert Eyes velvet black pour la référence et la nuance). D’aucuns, parmi les plus mélomanes, pourraient y déceler un hommage plus qu’appuyé à l’extravagance de Little Richard. Queer, drogue, sexe Hélas retraité des plateaux depuis “A Dirty Shame”, en 2004, le flamboyant John chausse désormais et à sa manière perverse les pas d’Oscar Wilde, publiant force recueils, donnant des séries de lectures, ou se produisant en one man show. Dernier ouvrage en date, “M. Je-Sais-Tout” ne trompe en rien sur la marchandise dès lors que l’on s’attarde sur son sous-titre : “Conseils impurs d’un vieux dégueulasse”. Oui, cet ouvrage est un manuel. De survie. De savoir-vivre. De mauvais goût (c’est selon). De bons mots. Bref, quel que soit votre degré de “queer”, ces personnages sont pour vous. Lutter comme artiste underground ou dans l’enfer hollywoodien, assumer sa différence et sa sexualité, prendre du LSD à 70 ans, apprécier les charmes de Provincetown, la Mecque gay du Massachusetts, collection l’art simien, préparer ses funérailles, voyager en avion sans le moindre désagrément... Toutes vos questions trouveront ici réponses. Un yippie dans l’âme Avec le juste fiel (“Mais pourquoi tous les passagers sont moches en première classe ?“) et l’ironie (“Je suis un yippie dans l’âme, un révolutionnaire en carton qui faisait son petit malin à la fin des années 1960 et qui pense encore aujourd’hui que les manifs sont un bon endroit pour choper”), l’incollable iconoclaste, victime de la mode en Comme des Garçons, peut aussi bien tenir un vibrant plaidoyer pour l’architecture brutaliste que foutre les miquettes avec Bill, effrayante poupée, accessoirement son fils adoptif. Toutefois, ne surtout pas réduire cette lecture à de tordantes anecdotes ou un florilège de sarcasmes. De son admiration pour Andy Warhol à son amitié avec Patty Hearst, de sa connaissance encyclopédique du cinéma (en marge comme grand public) à son érudition musicale (le chapitre “Le rythme dans la peau” à placer entre Greil Marcus et Nick Tosches) en passant par ses souvenirs d’une culture gay révolue ou l’émouvante évocation de sa bande de “misfits”, Waters nous rappelle l’essentiel : se rebeller contre le bon goût car le conformisme, c’est la mort.