Un juif pour l'exemple

En 1942 à Payerne, toute petite ville suisse non loin de Neuchâtel, un homme est mort. Tombé dans un guet-apens, assassiné puis découpé en morceaux avant d’être jeté dans le lac, il est mort juste parce qu’il était juif et que ses assassins voulaient « participer » à l’œuvre hitlérienne. Ses trois assassins fanatisés, en plus du pasteur nazi les ayant inspirés, seront jugés, condamnés mais ne montreront jamais aucun regret, à aucun moment. Dans son tout petit roman (que l’on peut lire en moins d’une heure si on veut, il est très court, très ramassé), l’écrivain suisse Jacques Chessex, natif de Payerne, relate un véritable fait divers raciste qui a eu lieu en 1942, pendant son enfance, quasiment devant ses yeux d’enfant, et qui continue de le hanter. Il ne lui faut que quelques pages pour planter le décor d’un village suisse protégé de la Guerre en 1942 (en vertu de la neutralité de la Susse), village dans lequel les juifs du canton travaillent, font commerce, se sentant protégés par ce pays qui est le leur. Si Payerne est protégé des combats, il ne l’est pas de l’antisémitisme bon teint de l’époque, de la bêtise, du fanatisme, des idéologies nauséabondes et des pauvres types prêt au pire pour se sentir moins médiocres qu’ils ne le sont. En 1942, l’Allemagne est victorieuse partout et les 3 assassins de Monsieur Arthur Bloch espère obtenir du Reich en place pour au moins mille ans, une particule, une miette de reconnaissance. Aussi surréaliste que cela puisse paraître, ils veulent offrir le sacrifice d’un juif suisse à Adolf Hitler pour son anniversaire ! Ils choisissent un marchand de bétail qu’ils vont massacrer maladroitement, avant de se faire arrêter puis juger. Chessex est sans pitié avec les assassins mais aussi avec les habitants de Payerne qui, sans passer à l’acte, n’ont pas non plus été plus horrifiés que cela par le crime, pourtant totalement gratuit et abject. Ce roman est celui d’une époque, d’une ambiance que Chessex décrit sans précautions de langage aucune. Ce roman en rappelle un autre « Mangez-le si vous voulez » de Jean Teulé. Même si l’époque est différente, le lieu n’est pas le même, le déroulé des faits moins édifiant (encore que, cela se discute…), l’ambiance de folie meurtrière totalement gratuit et quasi mystique qui s’empare des 3 assassins rappelle cet autre fait divers narré par Teulé. « Un Juif pour l’Exemple » met aussi en lumière l’attitude de certains pasteurs protestants devant l’idéologie nazie, certains pasteurs qui, sans se salir les mains, ont tenus des propos d’un antisémitisme hystérique, ô combien éloigné des préceptes chrétiens dont ils se parent d’habitude. Sur cela aussi, il y aurait sûrement beaucoup à dire… « Un Juif pour l’Exemple » est une sorte de petit pamphlet humaniste, très court, percutant, et qui, c’est terrible à dire, n’a pas pris une ride.

À 75 ans, Jacques Chessex a enfin dévoilé son poignant témoignage avec "Un Juif pour exemple". Cette œuvre, dense, concise et puissante, résulte de longues décennies nécessaires pour distiller ses souvenirs et offrir ce récit bouleversant. L'histoire se déroule en 1942, révélant que même une petite ville rurale de la Suisse vaudoise n'a pas été épargnée par les haines raciales contre les Juifs. La victime, un marchand de bestiaux et père de famille, n'a pas su anticiper le tournant tragique des événements. Chessex narre cette histoire avec une précision et une minutie impressionnantes, dépourvues de haine mais remplies de questionnements. Son style, souvent perçu comme froid et distant, laisse parfois transparaître une émotion contenue, renforçant ainsi le caractère tragique et horrible de l'événement. C’est une œuvre d’art magistrale qui hante longtemps après avoir été refermée. Jacques Chessex, qui était enfant à l'époque, il est né en 1934, a été profondément marqué par ce crime. Pendant plus de soixante ans, il a porté ce fardeau avant de décider de le consigner par écrit, afin de l'inscrire dans l'Histoire plutôt que de le laisser devenir une anecdote banale sujette à déformation ou à l'oubli. Pour l'écrivainsuisse, ce livre était une nécessité, une urgence. Si le ton de son récit peut sembler distant, c'est parce que la violence de cet acte, où un homme est dépecé comme les bêtes qu'il vendait, est encore douloureuse. Les souvenirs de telles atrocités ne peuvent être enfouis sans être consignés par écrit. Chessex illustre cette nécessité à travers des extraits poignants. Le premièr expose les préjugés tenaces contre les Juifs : "Les Juifs et les francs-maçons. Ils savent assez se sucrer, surtout les Juifs, quand on ferme les usines. Il n'y a qu'à les voir prospérer, les Juifs, avec leurs bagnoles, leurs fourrures, leurs commerces à tentacules, et nous les Suisses, on crève de faim. Et le comble c'est qu'on est chez nous. Les Juifs et les francs-maçons. Pieuvres et suceurs du vrai sang". Le second extrait aborde la question de l’imprescriptibilité du crime de la Shoah : "Qu'est-ce que l'horreur? Quand Jankélévitch déclare imprescriptible tout le crime de la Shoah, il m'interdit d'en parler hors de cet arrêt. L'imprescriptible. Ce qui ne se pardonne pas. Ce qui ne sera jamais payé. Ni oublié. Ni prescrit. Aucun rachat d'aucune espèce. Le mal absolu, à jamais sans transaction. Je raconte une histoire immonde et j'ai honte d'en écrire le moindre mot. J'ai honte de rapporter un discours, des mots, un ton, des actes qui ne sont pas les miens mais qui le deviennent sans que je le veuille par l'écriture". Chessex, né à Payerne où il a passé son enfance, confie avoir été marqué par ces événements. Depuis tout ce temps, il a vécu avec un sentiment irrationnel de culpabilité, ces souvenirs empoisonnant sa mémoire. À huit ans, il était témoin de cette tragédie, un poids qu'il porte depuis et qu'il tente de soulager par l'écriture de ce livre. "Un Juif pour exemple" n’est pas seulement une œuvre littéraire, c’est un acte de mémoire et de conscience, un rappel déchirant des horreurs passées, nécessaire pour éviter qu'elles ne sombrent dans l'oubli.