Le tour de l'oie

Erri De Luca : "Je n'ai pas eu d'enfants, mais j'ai eu les montagnes touchées de la pointe des pieds et j'ai eu les mots". Au cours de cette nuit, quelque peu fantasque, l’auteur engage une longue conversation avec un fils imaginaire. Pour ce fils qu’il a volontairement ignoré, il éprouve soudain le sentiment de la transmission. Cette transmission-là ne s’arrête pas à l’histoire des ancêtres et des parents qui peut fournir certaines réponses, elle s’étend au besoin de dire ses choix, ses erreurs. Le besoin de raconter son pèlerinage d’homme sur une terre souvent hostile, de justifier des passages de sa vie. Le "tour de l'oie" fait référence au jeu de l'oie, où l'on passe d'une station à l'autre, sans pouvoir décider de ces passages. Nous lançons les dés, nous avançons nos pions les yeux bandés sans aucune certitude que celle qu’il faudra assumer, faire avec et continuer d’avancer. La confession devient confrontation, la curiosité se transforme en introspection, le monologue évolue en dialogue, au cours duquel un père et un fils se livrent sans merci. "Je te parle à toi ce soir qui n’est même pas celui-ci. C’est un soir. Toi, tu es là, plus vrai, plus proche et consistant que le plafond. Je te parle à toi et non à moi-même. Je le sais parce qu’avec moi je parle napolitain." Erri de Luca est un amoureux de la littérature. Il y a la justesse des mots, des sentiments. Un roman avec une émotion à fleur de ligne. "J’ai un corps et j’ai joué au jeu de vivre dedans. Quel jeu ? Le jeu de l’oie. On lance un dé et on se déplace dans un circuit en spirale. C’est un jeu de parcours, les stations ont des noms communs : auberge, puits, prison, labyrinthe, squelette. Le corps est le jeu, moi je suis le pion. La table, le banc de ce soir sont une case."

«Le tour de l’oie», d’Erri de Luca paru aux éditions Gallimard, en février 2019, est un récit autobiographique introspectif, assez exigent. Un père s’adresse à son fils imaginaire, un soir d’hiver et se lance dans des confidences intimes. J’aime ce genre de lecture qui me bouscule et m’amène à beaucoup de questionnements. « Je n'aurais pas pu t'élever, je me suffisais à peine à moi-même. J'avais une tension sombre, indéfinissable ». Je recommande vivement ce moment poétique.