Le passeur de lagunes

Attendre. Se taire. Ecouter. Faire confiance même si on comprend pas. Supporter la violence aux alentours. Se heurter à la normalité des autres. Puis crever la bulle. Chercher seul. Se rebeller. Prendre des initiatives. Se mettre en danger peut être, se bruler surement. On ne vit pas tous cet enchainement mais force est de constater que beaucoup de gamins isolés et d'ados esseulés le sont par manque de compréhension et de confiance. Lorsqu'en plus l'environnement est toxique tous les éléments sont réunis pour le pire. S'il n'est pas sans rappeler l'excellent "La terre des fils" de Gipi, "Le passeur de Lagunes" nous entraine dans l'explosion initiatique de Paolo. De l'incompréhension face à la supposée indifférence paternelle à l'animalité des rapports sociaux, Christophe Dabitch décortique les troubles de la construction de vie dans l'univers inquiétant d'une Lagune de Venise régentée par la mafia. Entre la recherche d'un père soudain disparu et l'ignoble trafic d'humains sur une population migrante qu'il découvre, Paolo ne lâche rien. Il se débat. Gesticule contre tout le monde. Questionne, rencontre, fricote. Il y trouvera ses réponses. Celles liées à son enfance et celles qui l'ont fait se mettre en mouvement. Alors ca se passe mal hein, c'est violent dans les échanges et dans l'atmosphère qui laisse présager l'intrusion nocive à tout moment. Comme souvent on sent que c'est l'envie de vivre et la possibilité d'un amour qui lui donnera les dernières forces quand il tombera durement. Les dessins Piero Macola sont aiguisés, obtus, cassants. Les quelques rondeurs soudaines sur des visages croisés ou les magnifiques vues de la lagune n'y changeront rien. On est dans le noir, coloré du peu de vie qui reste en suspend. C'est jouissif. De brutalité dans ce qui nous est transmis. Ici aussi rien n'est superflu. Les quelques pages de respirations qui nous sont proposées ne sont que des petites bouées pour s'accrocher un peu. Il faut chercher, ne pas se taire, ne pas se résigner. Nos monstres intérieurs peuvent être des guides de vie, faut il encore savoir les apprivoiser. A lire d'urgence.