Trois saisons d'orage

J'avais envie de laisser passer quelques saisons avant de lire l'histoire des Trois Fontaines. Que la tempête fasse parler d'elle jusqu'à ce qu'on s'y acclimate, qu'elle fasse partie du paysage littéraire français, qu'on lui accorde un prix. Puis je me suis servi mon jus d'orage. Une grande rasade. Les premières saveurs. Aux goûts du Roi n'a pas sommeil. Un roman vrai, avec des personnages authentiques, disparus des paysages médiatiques, dont tout le monde se contrefout parce qu'ils ne rapportent rien. Deuxième gorgée, la tragédie. Presque grecque. La poésie aidant on préfère s'emballer à suivre la romance à la française, en espérant que tout ça se termine bien. Fluide, efficace, rural. Du corps, quelque chose de Faulkner, de Steinbeck, mais pas que. S'inspirer sans pomper, du grand art quoi. On peut remercier Cécile de donner aux villages qu'on traverse et qui développe l'imagination quand on prend l'Autoroute, de leur attribuer les couleurs qu'ils méritent, une fois qu'on a soufflé dessus pour y enlever toute cette poussière. Trois saisons d'orage est un roman qui vous berce, vous donne envie d'acheter une maison dans un pays reculé (géographiquement. parce qu'humainement t'en as pour ton compte minou). Trois générations, balancées dans une époque qu'on espère pas encore morte. un tableau parfait. Qu'on lit sans se rendre compte des pages qui défilent entre les doigts. Good shot, good stuff !

Ma première rencontre avec Cécile Coulon fut celle d' "une bête au paradis", une ambiance inhabituelle mais qui avait clairement retenu mon attention. Ici on se retrouve une fois encore plongés dans une ambiance lugubre, morne, au milieu des montagnes...les pièces du puzzle sont assemblées lentement et méticuleusement... La mécanique est parfaitement huilée, la plume affûtée, sensible, au coeur des gens, au plus profond de leurs entrailles même... une prouesse !!! je choisis lequel en guise de 3ieme titre ?

Dans son roman, Cécile Coulon nous dresse sur trois générations la vie d’une petite ville Les Fontaines, et de celle du médecin des lieux, Benedict. Si les enjeux dramatiques des cinq personnages sont finalement assez peu prenants, le roman tire sa force d’une ambiance lourde et pesante. L’auteure nous décrit parfaitement l’ambiance dans cette campagne reculée, à mi chemin entre enfer et paradis. Les personnages, qui sont eux aussi parfaitement caractérisés et réels, sont également un point fort de ce roman à la lecture relativement facile. Après « Le cœur du pélican » c’est le deuxième livre de cette auteure que je lis : deux livres qui m’ont à chaque fois conquis par leur réalisme et la puissance littéraire de leur auteure.

D’abord on s’installe, confortablement. On se laisse emporter, bercer par la mélodie des mots de Cécile Coulon. On visualise ces paysages, ses personnages, on se plait dans ses décors. On suit l’évolution de ce petit village, niché près de ces falaises énormes, qui va connaître un essor et une renaissance. On découvre ses habitant.es, leurs vies, leurs galères et puis l’arrivée d’André, le médecin espéré; et puis de son fils, Benedict, un peu plus ambitieux. On suit le cycle des saisons qui s’enchaîne, le cycle de la vie. On se sent bien ici. Et puis, petit à petit, sans s’en rendre compte, on se crispe un peu sur les pages. Parce que c’est ainsi avec Cécile Coulon : ça s’installe doucement, furtivement. On réalise alors que quelque chose se trame, qu’il suffit d’une étincelle pour que le reste s’embrase. Et c’est ce qu’il se passe, un personnage allume la mèche et tout prend feu, nous fait grincer les dents et applaudir en même temps.

Aujourd'hui je tourne la dernière page de "Trois saisons d'orage" de Cécile Coulon. Et j'ai été enchantée par ma lecture : une vraie poésie pour moi. J'y ai vu une déclaration d'amour à la campagne, un hommage à la ruralité. Les hameaux désertés par l'exode rural attendent des habitants qui pourraient revenir rassurés par l'arrivée d'un médecin ou quelconque activité quand il n'y avait personne pour prendre soin des ouvriers, des paysans. André lui a toujours voulu s'éloigner dans sa ville natale ; alors aussitôt fini son internat, il quitte l'hôpital pour ce cabinet près de l'église. Il suit ces gens qui ont choisi cette vie rude. Et le destin le trouve là où personne ne veut vivre... "là où des forces nous dépassent". Puis l'enfant paraît... Il est en admiration devant ce protecteur des habitants. On avance peu à peu dans le récit, c'est si bien décrit, avec douceur, on y est à tâtons... la rivalité des enfants fermiers... la rencontre du fils de paysan et la fille du médecin... l'usine qui se modernise... le médecin qui déplore la nourriture des ouvriers... le respect de la terre... les forces de la nature... les vaches sacrées... le respect du travail... le vieillissement des anciens... le cycle de la vie... les adolescents amoureux... Ce texte excellemment ciselé est une excellente surprise. Tout m'inspire dans cet ouvrage qui raconte des morceaux de vie de nombre coins de campagne, en le lisant là j'y suis projetée : les oiseaux, les résurgences géologiques, des histoires ancestrales. L'histoire dans une campagne préservée, c'est intemporel. "L'installation du docteur aux Fontaines avait changé l'existence des habitants : ils avaient moins peur, et ceux qui arrivaient de loin pour travailler semblaient moins soucieux ; un village avec un médecin à demeure est un endroit rassurant." Pour moi c'est un coup de cœur. Ce roman est réellement puissant. L'auteure est une poétesse. C'est une magnifique découverte.