Le mal-épris

C’est l’histoire d’un mec qui tombe du côté obscur de la vie. Paul. Pauvre Paul. Une enfance malheureuse, des parents merdiques, de la violence partout. Devenu adulte, Paul est amer. Il est laid, si laid. Pourtant, il aurait pu choisir de masquer cette laideur en devenant une belle âme, comme on dit. Oui, il aurait pu. Seulement voilà, Paul en veut au monde entier. Il en veut à tous ces beaux, ceux qui ont le monde à leurs pieds. Paul est persuadé que leur vie est mille fois mieux que la sienne. Paul en veut aux femmes, les belles, parce qu’elles ne s’intéressent pas à lui. Lui, si laid. Et puis, Mylène arrive. Elle est si belle. Et alors, Paul se sent renaître. Il l’aime. Et un soir, Mylène tombe sous son charme. Pour une unique nuit d’amour. Après, c’est le vide. Mylène a honte. Paul le sait. Quelle salope ! Comment a-t-elle osé se moquer de lui ainsi ? C’est bien un privilège de beaux, que de prendre et de jeter ensuite. Alors, par dépit, Paul jette son dévolu sur Angélique. Elle n’est pas vraiment belle, à ses yeux. Mais elle fera l’affaire, après tout. Et puis, un jour, Paul bascule. Il mitraille. Des mots, des coups, de la rage. Ses poings cognent. Paul explose et devient aussi laid à l’intérieur qu’il ne l’est à l’extérieur. Avec une écriture ciselée et percutante, Bénédicte Soymier nous laisse entrevoir une possible explication des origines du mal, des origines des violences conjugales. Il ne s’agit pas de pardonner, jamais. On condamne, toujours. Mais pardonner, non. Cependant, il est essentiel de tenter de comprendre, d’appréhender les mécanismes qui mènent à ces violences. Et ici, l’auteure nous laisse entrevoir une bouleversante - et terrifiante - étude de la violence. J’ai aimé m’attacher à Paul. Et je me suis aussi détestée pour cela. Pourtant, c’est la triste réalité. Sous les coups, sous la violence. Il y a des êtres humains, avec leurs histoires de vie et leurs plaies jamais cicatrisées. Expliquer, sans pardonner. Pour avancer, déceler et les arrêter, avant que le premier poing ne se soit levé.

Voici un roman bien déroutant. Tant non pas par le sujet développé mais davantage par ce sentiment persistant et troublant qu’a laissé derrière lui ce personnage.   Très vite l’atmosphère se distille, insufflant cette oppression malsaine, peut-être nauséabonde, nous poussant à être le témoin involontaire et passif de cette vie délitée, macabre, douloureuse. Témoin de ses faux pas, de ses attentes idylliques, de ses névroses, de ce sentiment fort de persécution. Appartenir à quelqu’un ? Posséder quelqu’un ? Quelle place à l’amour dans ce schéma oppressif ? Est-il la somme des travers d’un père alcoolique et violent et d’une mère absente ?   Lui, Paul, est un homme commun qui a sombré depuis bien longtemps dans cette routine qui ne laisse plus la place à l’imprévu. Paul se sent certainement persécuté par cette société idéalisée dans cette beauté chérie et sommaire. Paul n’a pas de place. Il est l’homme sympa, peut être taciturne, délicat.   Elle, Angélique, a connu les déboires de l’amour. Cœur brisé, âme sensible, l’éternelle romantique, pulpeuse jusqu’au bout des ongles, elle croque la vie comme elle vient. Elle a appris à vivre avec le regard obséquieux des hommes. La convoitise, le désir, se sentir importante sont en quelque sorte ses piliers, ses protections.   Lui et Elle c’est une histoire qui s’enflamme et qui dérape. Virage serré, choc latéral, la vie d’Angélique part en vrille. L’isolement s’invite progressivement, la manipulation est rodée, la violence est l’ultime geste.   Elle a compris le mécanisme, elle a cerné le type, mais l’espoir même aussi mince qu’il soit, la pousse à croire à cet avenir meilleur, heureux.   Bénédicte Soymier signe un roman d’une puissance remarquable. J’ai vraiment été séduite par cette plume atypique qui joue avec les rythmes, les sons et la matière. Elle captive indéniablement et surtout instille cette part infime caractérisant ce personnage principal hors norme. Je suis sensible lorsque l’auteur développe le thème de l’amour toxique et de ses dérives. Est-ce que le roman de Bénédicte Soymier m’a touchée ? Certainement, même bien plus que je le soupçonne. Et malgré tout j’ai du mal à mettre mes mots sur ces maux. Indécise, mitigée, ne correspondent en rien à ce que je ressens. Je n’arrive pas à expliquer ce grand vide que j’éprouve quand je parle du roman, et ce n’est en rien négatif. C’est bien la première fois que je suis fasse à cela.   Un premier roman d’une qualité impressionnante.

⭐⭐⭐⭐⭐ Ce roman est dérangeant. Cependant, il m'a fascinée. L'écriture de Bénédicte Soymier est ciselée. Les mots percutent, atteignant leur cible, tels une mitraillette. Au fil des pages, j'ai senti un malaise m'englober, avec une intensité croissante. Le mal-épris est un premier roman intense, percutant, qui se lit en apnée. On aimerait tellement que ce ne soit qu'un roman.