Plongée sombre et lumineuse dans l'univers des Quilombolas (Brésil)
Un sublime roman qui vous plongera au Brésil dans l’univers sombre, et pourtant lumineux, des Quilombolas, une des ces communautés africaines-américaines de paysans sans terre.
Chronique d’un vrai coup de coeur !
« "Parlez !" a-t-elle dit, en menaçant de nous arracher la langue, sans se douter que l'une de ses petites-filles serrait déjà la sienne au creux de sa main. »
C’est par un incipit d’une violence inouïe que nous plongeons dans l’univers d’Água Negra, une fazenda brésilienne où vit une communauté quilombolas. Profitant de l’inattention de leur grand-mère, ses deux petites filles, Bibiana et Belonísia, se précipitent dans sa chambre afin de découvrir le trésor que recèle la mystérieuse valise cachée sous le lit : enfoui sous une pile de vieux vêtements, elles découvrent un couteau « au manche couleur de nacre » dont elles ne peuvent s’empêcher de goûter la saveur. Pourquoi grand-mère Donana cache-t-elle ce couteau comme on cache un trésor ? Quel secret recèle-il ? Que signifie ce geste inaugural médusant ?
De fait, la mutilation, en apparence saugrenue, est à l’image de l’univers cruel dans lequel évoluent les « travailleurs captifs » de la fazenda, esclaves qui, s’ils n’en portent plus le nom, en subissent tous les maux : oppression des maîtres, musèlement de la parole, violences masculines, etc. Le roman offre en ce sens une description révoltante du travail forcé et déshumanisant auquel ces communautés africaines-américaines sont soumises.
Pourtant, à la violence et à l’invisibilisation systémiques dont le roman cerne différents contours, répondent les voix singulières de deux narratrices éblouissantes. Bibiana d’abord, puis Belonísia témoignent chacune à leur manière de la façon dont elles tentent de « conquérir la liberté qui leur est refusée depuis l’époque de leurs ancêtres » et de « faire enfin l’expérience de la vie » : est-ce que leur courage, leur détermination, mais aussi le pouvoir que leur offre la spiritualité, leur permettra de vaincre enfin l’oppression et de trouver une voie émancipatrice ?
Que dire enfin du souffle poétique et mystique qui émane de l’oeuvre, à l’instar du souffle de « la vieille enchantée », dont la narration vient clore l’oeuvre ? Comme tous « ces esprits qui ont accompagné ce peuple depuis son arrivée d’Afrique », elle constitue la mémoire collective inconsciente d’une communauté inextricablement liée à la peur et à la souffrance, mais aussi attachée à une terre hostile qui l’a vue naître, grandir et mourir. Perpétuer cette mémoire, accepter que le passé ne nous quitte jamais, arborer enfin fièrement ses racines si douloureuses soient-elles, n’est-ce pas finalement devenir immortel ?
Sublime.
Plongée sombre et lumineuse dans l'univers des Quilombolas (Brésil)
1aime∙0commentaire
Votre commentaire...
Charrue tordue
Itamar Vieira Junior
Romans
Azucre : une épopée
Bibiana Candia
Braconnages
Reinhard Kaiser-Mühlecker
Les jardins de Basra
Mansoura Ez-Eldin
La ferme de Montaquoy : qui court la campagne trouve le chemin
Régis Franc
Magdalène
Georges Peignard
La maison de mon père
Akos Verboczy
Deux vies
Emanuele Trevi
Rhapsodie balkanique
Maria Kassimova-Moisset
Nûdem Durak : sur la terre du Kurdistan
Joseph Andras
Le livre de la Caspienne. Vol. 1. Azerbaïdjan
Vassili Golovanov