Un récit troublant navigant dans un surréalisme romanesque poétique…
Hello darkness my old friend… Quelque part en Amérique du Sud, proche de Santiago, personnage emblématique du célèbre « Le vieil homme et la mer », un homme sans prénom emmène son fils à la pêche, car « (…) l’homme avait appris à pêcher à sept ans, et le garçon ferait de même, et le temps de le dorloter était révolu. » Pourtant, l’homme sait que cet apprentissage comporte des risques, que la prudence la plus totale doit être observée et que nulle distraction ne peut venir entraver ce moment où, ensemble, ils seraient plongés au cœur du fleuve. « Le fleuve leur donnait tant de choses, mais le fleuve n’était pas à prendre à la légère. » Quelque chose de terrible se produit en ce lieu, laissant la scène collée sur la rétine de l’homme, la pêche n’avait pas été si mauvaise… Jeremy Robert Johnson navigue alors dans les méandres d’œuvres qui ont marqués le roman noir, « Simetierre » pour la thématique du deuil et « Moby Dick » pour celle de la vengeance, mais s’approprie totalement son texte pour en faire un ovni littéraire.
Difficile de partager la quintessence des émotions en seulement cent soixante pages, mais si vous suivez mon conseil, c’est-à-dire de le lire d’une traite, vous verrez que l’écrivain vous capture dans ses filets dès les premières pages. Jusqu’à la dernière ligne qui vous autorise enfin à reprendre votre souffle, il navigue entre soleil réel omniprésent et obscurité de l’âme. Le choix de la narration, lieu inconnu, personnages sans prénom, pages quasi blanches pour évoquer la sidération contribuent à vous ferrer. Ce récit étrange, trouble et opaque oscille sans arrêt entre réalité et visions, monde des vivants et monde des morts, espoirs hagards et inquiétudes latentes. Ne vous laissez pas impressionner par l’étrangeté du récit, la plume de l’auteur vogue dans un surréalisme romanesque en vous entraînant dans un voyage intérieur peuplé de monstres, réalités meurtries et fantasmes désirés. Plus l’homme devient l’ombre de lui-même, incapable de penser avec lucidité, plus l’écriture en témoigne, jusqu’aux dernières lignes abruptes et tranchantes qui apparaissent avant le mot « fin ».
« Apprendre à se noyer » est une expérience de lecture saisissante. Le lecteur, en totale empathie, parvient à ressentir ce chagrin intense, à justifier cette soif de vengeance, à coopérer avec les décisions prises par l’homme. Même lui ne parvient plus à penser avec discernement, terrassé par ce questionnement qui tourne en boucle dans sa tête « et si c’était moi ? » Des scènes assez terribles évoquant la douleur physique nous heurtent dans notre chair, mais toujours nos pensées vont vers la mère du garçon, épouse de l’homme que nous ne rencontrons jamais, mais dont la présence fantomatique hante toutes les pages.
« On peut se noyer lentement à terre, et si on en fait trop. » Ce roman en est une preuve magistrale. Noyez-vous.
Un récit troublant navigant dans un surréalisme romanesque poétique…
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