Aude Bouquine- 14/11/2021

Pur roman noir d’introspection

Fabrice se rend à contrecœur au Grand Rex avec sa petite amie Juliette. Entre eux, rien ne va plus, mais la lâcheté de Fabrice l’empêche de mettre fin à cette relation qui ne lui apporte plus aucune satisfaction. « Ils étaient assis côte à côte, leurs bras se touchaient, pourtant au fossé les séparait. La somme de tous leurs désaccords, de tous ces malentendus qui font les vies à deux. » Dans cette fosse des âmes, le fossé du couple se creuse. Dans la pénombre du cinéma, d’autres âmes viendront les rejoindre quand détonnent les premiers coups de feu. La fosse des morts s’agrandit et parmi elles, l’âme de Juliette. Fabrice réchappe de cet attentat. En proie à la culpabilité du survivant, il traverse l’existence tel un fantôme, jusqu’à sa rencontre avec Clarisse en charge de l’enquête. « L’écouter, c’était comme reprendre son souffle, la promesse d’émerger de la fosse. Elle était douée d’un appétit pour la vie. » Jusqu’à sa disparition… Commence alors une lente descente aux enfers alimentée par deux traumatismes successifs. Il devient tout à tour rescapé, coupable et fugitif. Persuadé que la disparition de Clarisse est la conséquence de l’enquête qu’elle menait sur l’attentat, Fabrice décide de la reprendre. Voilà un roman qui n’a pas été ce que je m’attendais qu’il soit : une reconstruction psychologique après un attentat. Christophe Molmy, patron de la BRI (Brigade de Recherches et d’Intervention) et écrivain en a fait un récit qui dépasse ces frontières-là. Outre les traditionnels questionnements de la culpabilité du survivant, de la résilience, et de la capacité à rebondir, l’auteur nous offre une analyse fine de notre « dualité » humaine : une part de lumière, une part de nuit. Parce que l’attentat a lieu dès les premières pages, et que certaines images nous viennent immédiatement à l’esprit, l’écrivain capte notre attention en faisant surgir une empathie totale et instantanée. Les sons, les bruits, les odeurs transpirent à travers les pages sans vraiment laisser de répit. Au-delà de cette ambiance, c’est bien autour du personnage de Fabrice que le récit se construit. Frappé durement dans un premier temps, puis refrappé dans un second temps alors qu’il était en train de retrouver un sens à sa vie, le personnage principal plonge, submergé par ce stress post-traumatique. L’accumulation de ces deux traumatismes crée un « nouveau » Fabrice, homme en mode survie qui ne se préoccupe plus vraiment de la manière d’atteindre un résultat, mais seulement du résultat. « Quelque chose s’est déplacé au fond de lui. Jeune, il ne s’était jamais battu. Il avait grandi loin de toute violence, préservé de tout, enfant choyé devenu un adulte inoffensif. Il ne se souvenait même pas avoir giflé quelqu’un. Jusqu’à peu, il n’avait jamais tenu une arme. Mais les choses avaient changé ; plus rien ne le retenait de franchir la ligne. » Pur roman noir, « La Fosse aux âmes » m’a rappelé le film « Chute libre ». Pas au niveau de l’intrigue, mais sur l’incapacité du héros à accepter les évènements tels qu’ils se présentent, tout simplement en disant NON. Ce NON qui fait naître la part d’ombre de Fabrice le rend attachant, mais inflexible, toujours sur la corde raide, entre humanité pour de bonnes raisons et implacabilité pour les mêmes bonnes raisons. Dans ce texte d’introspection pourtant court (299 pages), les émotions sont au rendez-vous, la complicité quasi automatique, comme dans ces œuvres cinématographiques où vous êtes du côté du « méchant » alors que ce n’est pas « politiquement correct », simplement parce que sa quête est juste. Christophe Molmy sait surprendre en prenant des chemins de traverse pour terminer sur une fin totalement inattendue. Je vous le recommande sans hésitation.