“La connerie, en politique, est toujours partagée”
Le psychologue et journaliste scientifique, Jean-François Marmion a coordonné “Psychologie de la connerie en politique”. Une étude aussi corrosive qu’érudite sur deux thèmes qui font “trop bon ménage pour passer à côté“.
Vous avez dirigé “Psychologie de la connerie”, “L’histoire universelle de la connerie” et désormais “Psychologie de la connerie en politique”. Entre nous, qu’est-ce que la connerie ?
Le terme est un peur fourre-tout, difficile à définir, mais en même temps, il dit bien ce qu’il veut dire. La connerie est un champ inexploré en psychologie. Elle en aborde certains aspects, comme les stéréotypes, les erreurs de raisonnement, les biais cognitifs... Mais pourquoi ne pas appeler un chat, un chat ? Et parler ainsi de bêtise, de stupidité ou d’irrationalité ? J’ai fait appel à des chercheurs, des philosophes, des historiens, des journalistes, des avocats en leur demandant de parler de connerie humaine. Le sujet est infini. Et la connerie et la politique font bon ménage pour passer à côté.
En politique, les cons seraient donc partout ?
On fait tous de la politique. Voter, c’est de la politique. Choisir de ne pas voter, c’est aussi un acte politique. Il y a une part de connerie dans la conquête ou l’exercice du pouvoir, comme il y en a chez l’électeur. Et même dans les médias. La connerie en politique, est toujours partagée.
Les politiques, des cons ou des connards ?
(Rires) les connards se distinguent parce qu’ils veulent toujours plus de pouvoir. Et qu’ils s’en servent pour vous mépriser, vous écraser, vous humilier. Mais il ne faut pas verser dans la démagogie. L’immense majorité des politiques est honnête, sincère et fait ce qu’elle peut.
Le problème est qu’en vertu de ce qu’on appelle le biais de négativité, on consacre notre attention aux gens qui nous choquent, nous énervent, nous déçoivent...
Comment parviennent-ils alors à se faire (ré)élire ?
Parce qu’on les connaît. On est toujours attiré par ce qui nous est familier. Les autres, on ne sait pas d’où ils sortent. Il y a des tas de gens qui font leur boulot le mieux possible, avec désintéressement, mais souvent, on ne les remarque pas. Il y a du voyeurisme en chacun de nous. Et si un politique se voit inquiété par la justice, c’est la sympathie pour le “bad guy”, celui qui se sort de toutes les embûches, qui s’exprime. Il y a une forme de complaisance vis-à-vis de tout ça.
Les gilets jaunes ont bougé les lignes ...
Ce qui caractérise le phénomène, c’est la polarisation du débat. C’était complètement inédit, imprévisible. Si on se sentait appartenir à l’élite, on voyait les gilets jaunes comme une bande de bras cassés. Si on se sentait de leur côté, les cons, c’était l’élite, les gens qui ne connaissent plus la vraie vie. Chaque camp se voyait comme uni face à l’autre. Bien évidemment, c’est plus compliqué que ça. La plupart des gens étaient sincères. Ils étaient là pour se faire entendre, parce qu’ils avaient vraiment l’impression de vivre une injustice. Il y a du malentendu de part et d’autre.
Le corollaire a été une montée du complotisme...
Je ne sais pas si il y a eu une montée du complotisme ou s’il est plus visible qu’avant. Et il n’est jamais illégitime de se poser des questions. Le complotisme, à la base, c’est le doute, ce superbe antidote à la connerie. Mais si le doute se transforme en certitude absolue, agressive et auto-satisfaite, le remède est pire que le mal.
Les réseaux sociaux seraient donc une usine à conneries ?
Les réseaux sont avant tout un espace de liberté. Et certains sujets, comme #MeeToo, n’auraient peut-être pas été traités par les médias si les réseaux sociaux ne s’en étaient pas emparés. Chacun doit être vigilant, douter, se faire une opinion. Et être conscient, avec humilité que cette opinion peut reveler de la connerie.
A-t-on touché un absolu, aux États-Unis, avec Donald Trump ?
Probablement pas. Souvenez-vous de Georges W.Bush, président en exercice lors du 11 septembre. On parlait avec lui d’un accident de l’histoire. Mais avec Trump, on est tombé bien plus bas ! Et je suis à peu près certain qu’on peut trouver encore pire. Tout cela démontre, par ailleurs, que la connerie en politique n’est pas qu’une question de leader. Trump a été élu. Et il a failli être réélu.
Le vote raisonnable n’est donc qu’une fiction ?
On aime à penser que l’électeur, en démocratie, pèse le pour et le contre, est bien informé, que son intérêt particulier va rejoindre l’intérêt général, etc. Mais ça n’existe pas, un être humain comme ça ! Si vous attendez d’être d’être hyperinformé ou hyperéquilibré pour aller voter, vous n’irez jamais. Les abrutis, par contre, ne vont pas s’en priver...
La démocratie serait réduite à un jeu de cons ...
Depuis ses débuts, la démocratie est critiquée, le peuple serait trop bête pour savoir ce qui est bon pour lui. Mais comme disait Churchill, c’est le pire de tous les systèmes, à l’exclusion de tous les autres. On n’a pas mieux. Et au moins, on a droit de râler contre les politiques, de dire que ce sont tous des cons. Et c’est déjà immense.
“La connerie, en politique, est toujours partagée”
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