Aude Bouquine- 14/11/2021

Dystopie mettant en scène une société aseptisé

« Qu’est-ce que tu veux faire quand tu seras grande ? Sauter des gratte-ciel. Prendre le risque de tomber pour s’envoler, comme disaient nos career trainers . Plus on frôle la mort, plus on se sent vivant. » Imaginez le monde, imaginez la terre, rapprochez-vous… Vous voyez la ville qui se dresse devant vous ? Zoomez encore… Elle est séparée en deux zones par un mur : la ville et Les Périphéries. Dans la ville, rapprochez votre zoom des gratte-ciel. Vous voyez ces gens habillés de leurs Flysuit ? Ils sautent des gratte-ciel. Autour d’eux c’est l’euphorie. « Imaginez le corps dans son infinitude, immortel, s’élevant et retombant sans cesse, comme une respiration, une pulsation, et savourez cette pensée, trouvez-y refuge, puisez-y confiance. Là, à ce moment précis où vous vous retirez lentement du monde, la mort n’existe pas, il n’y a que la vie. » Riva est l’une de ces « idoles » adulées par la foule pour la qualité et la beauté de ses sauts dans une discipline appelée le « Highrise Diving ». Un jour, elle choisit de ne plus sauter, comme ça, sans aucune raison. Ses sponsors décident alors d’engager une société spécialisée dans « les remises sur le droit chemin ». Désormais, Hitomi Yoshida une psychologue l’observe grâce à des caméras secrètes, la traque partout, entre en contact avec ses proches pour leur dire comment agir. Tout est entrepris pour l’amener à reprendre son activité. Riva vit avec Aston, un photographe célèbre. Ensemble, ils ont des points de crédit qui leur permettent de vivre là, et non dans Les Périphéries. Riva devient indocile : elle ne porte plus son « activity tracker », mange peu, ne dort plus. Elle reste figée, amorphe, devant sa baie vitrée face à la ville. Le danger de perdre son « credit level » devient de plus en plus concret et angoissant. Julia von Lucadou dresse le portrait d’une société aseptisée où chacun doit jouer son rôle à la perfection. Basée sur la méritocratie qui vous donne des points ou vous en enlève, votre habilité professionnelle est sans arrêt jugée. Votre rôle est de servir à quelque chose, de ne pas être un fardeau. Pour chaque « élément inutile », il existe une sanction adaptée. Mais attention, il ne vous suffit pas de bien faire votre boulot, vous devez le faire en respectant votre corps, votre bien le plus précieux. « Méditation, exercices de relaxation. Respirer en conscience. Éviter le bruit. » Le bien-être personnel est la clé de la réussite, il est donc placé au centre de tout. Vos données de santé sont examinées à la loupe, ainsi que votre activité physique, vos heures de sommeil, votre niveau de nervosité, votre rythme cardiaque, le nombre de vos pas. On attend de vous un calme olympien, de la prise de distance en chaque chose, un comportement paisible et tranquille. Pas de vagues. Pas d’énervement. Pas de cris. Le maître mot est : obéissance. Dans le cas contraire, vous serez sanctionné sur votre « credit score », et vivement encouragé à retourner dans votre placard. Julia von Lucadou a créé tout un univers, avec son langage propre. Des anglicismes à la pelle pour évoquer le modernisme de cette société avant-gardiste, un processus original dès la naissance que je vous laisse découvrir, un mode de fonctionnement de la vie quotidienne audacieux. C’est un monde riche en imagination qui s’ouvre sous vos yeux et chaque page apporte son lot de surprises. Cette société parfaite où chacun se sourit et se respecte fait presque envie au début du roman. Et puis… l’écrivain décide, elle aussi, de sauter virtuellement d’un gratte-ciel en s’enfonçant dans les abysses d’un univers où le mot liberté n’existe pas vraiment… Une lecture passionnante, immersive, riche, aussi jubilatoire qu’angoissante. Je m’en vais travailler mon score d’adaptabilité, éviter de me faire influencer par un « underperformer », m’inscrire à une formation « au bonheur et à la résiliation » et surtout ne pas m’attarder sur les souvenirs. Et n’oubliez pas « Close your eyes, open your mind » et restez zen !