Chris5867- 03/03/2023

Darren est Buck

Darren Vender, jeune afro-américain de 22 ans, est barista chez Starbuck à New-York. Bien qu’un peu surqualifié pour le job, il s’en contente et l’ambiance avec ses collègues est bonne. Il vit chez sa mère, il a une petite copine adorable et il ne lui en faut pas plus pour le moment pour être heureux. Mais un jour, il arrive à convaincre un chef d’entreprise de changer de boisson favorite, au moyen d’arguments efficaces. Cela impressionne tellement ce jeune cadre dynamique qu’il invite Daren à postuler dans sa start-up comme vendeur. Darren accepte et met ainsi un pied dans un monde surréaliste du capitalisme échevelé des start-up américaines, qui peuvent faire de vous un homme riche en un rien de temps, pourvu que vous ne vous encombriez pas trop de scrupules. Dans « Buck & moi », Mateo Askaripour raconte à la première personne l’ascension fulgurante d’un jeune noir américain, embauché sur un coup de dé dans une start-up, ascension presque folle qui se terminera dans un flot de rancœur, de violence et de haine quasi surréaliste, tout du moins aux yeux de l’européenne que je suis. Au début du roman, Darren est un jeune garçon intelligent et adorable, attachant et dont l’intelligence saute aux yeux. On est est très en empathie avec lui jusqu'au milieu du roman car il fait un peu office de candide dans ce monde étrange de la start-up Sumwun. J’ai mis un bon moment, à l’instar de Darren, à comprendre ce que vendait cette start-up, et même arrivé au bout du roman je ne suis pas certaine d’avoir bien cerné les contours fumeux de son activité. Elle est censée vendre, ça c’est sur, mais vendre quoi ? En tout cas, l’ambiance à l’intérieur de cette entreprise est faussement cool : on se tutoie d’emblée, on fait de spots et des fiestas monstre entre collègues mais on forme les petites nouveaux avec des épreuves qui tiennent davantage du bizutage qu’autre chose, on leur donne des objectifs chiffrés monstrueux. Derrière la fausse bonhomie de l’entreprise se cache le capitalisme sauvage le plus cruel et cynique dont l’Amérique est capable, et ce n’est pas peu dire. Darren s’accroche, pour que sa mère soir fière, pour montrer qu’il peut réussir. Le souci c’est que vers le milieu du roman un drame personnel le fait basculer du côté obscur. Totalement embrigadé par Sumwum (on n’est pas loin de la secte et du lavage de cerveau par moment), il devient odieux, détestable et encore plus cynique que les leçons de marketing qu’il a (trop bien) assimilé. Convaincu qu’il peut « faire école », le voilà qui entreprend de répandre la bonne parole de vendeurs auteur de lui. Et comme aux USA tout finit par revenir invariablement à la question raciale, cette mégalomanie galopante par finir par se retourne contre lui, dans une sorte de leçon karmique bien méritée. « Buck & moi » n’est pas forcément un roman facile à appréhender au début, je le reconnais. Surtout que ce monde des start-up nous est si étrange qu’on a bien du mal à trouver nos marques. Mais passé ce temps d’adaptation, on est assez captivé par le parcours fou de ce jeune homme intelligent, qui a oublié un peu vite qu’il était noir et qu’en Amérique, cela finit toujours par poser problème. A partir du moment om la question raciale entre en jeu, la situation dérape entre extrémismes de deux côtés. « Buck & moi » pose la question crument : aux Etats-Unis, peut-on réussir quand on est noir sans que cela vienne, un jour, poser problème aux blancs. Au-delà du monde des start-up, c’est la question raciale qui est bien au centre du roman, car si Darren avait été blanc, avec la même intelligence, les mêmes talents, la même dose d’audace et de chance, son parcours aurait été très différent et il n’aurait pas fini comme il fini à la fin de « Buck & moi ». Ecrit dans un style agréable, émaillé de petites incursions où Darren s’adresse à nous (comme si nous étions nous aussi en formation de vendeur), le roman est agréable à lire, souvent édifiant, parfois perturbant car c’est difficile de détester un personnage qu’on a d’emblé apprécié. En tous cas, ce qui est sur, c’est qu’il pose des questions fortes sur l’Amérique d’aujourd’hui, et sa capacité inouïe à toujours tout ramener à la couleur de peau en général, et à la couleur de peau noire en particulier.