« C’est cela notre époque, présent indéfini sans passé ni avenir, continuité sans interruption, sans égarements, surtout sans oiseaux. (…) Octobre s’achève encore dans la canicule. » Ainsi s’ouvre, après quelques pages « La riposte », sur un monde dévasté que l’on pourrait envisager de dater vers 2030, quand cette terre fatiguée aura décidé de se débarrasser des humains devenus persona non grata. Jonas, infirmier à domicile, prodigue ses derniers soins avant de partir vers un ailleurs qui ressemble fortement à un nouvel eldorado situé dans le nord du pays. En attendant, il opère ses derniers soins à des patients qui finissent tous par y rester. Tous s’éteignent dans la douleur. Tous meurent. Les médicaments se font rares, Jonas est confronté à d’énormes pénuries et doit faire preuve d’imagination pour les soulager au mieux. L’un de ses patients, Jean-René représente tout ce que Jonas exècre, il « avait des leviers de pouvoir sauver les choses » et n’a rien entrepris. Et pourtant, Jonas fait fi de ses émotions même s’il a conscience qu’à sa naissance « le match nous opposant à la planète était plié : défaite à domicile pour tout le monde. » Les petites doses de morphine administrée afin d’apaiser le corps de ses malades ne parviennent pas à apaiser son esprit revanchard qui fustige tous ceux qui ont brillé par leur inertie. Dans 2 semaines, il partira… voir si l’herbe est plus verte ailleurs, si l’air est plus respirable. « Pour nous comme pour ce monde, il n’y aurait pas d’issue, à quoi bon reconstruire si tout est détruit ? »
À l’heure où je lis ce roman et où je le chronique, nous assistons à une guerre sans merci entre les pro et les anti-vaccins. J’aurais aimé que ce roman sorte plus tôt afin de pouvoir remettre l’église au milieu du village en pointant du doigt les véritables préoccupations que nous devrions avoir. Le Giec publie un rapport extrêmement alarmant sur le climat. Les hommes se préparent à affronter une crise écologique sans précédent : épisodes de canicule, nature qui se déchaîne (récemment encore de terribles inondations se sont abattues sur l’Allemagne et la Belgique), fuite des populations (réfugiés climatiques), recrudescence de la pauvreté, inégalités flagrantes au niveau des soins. Oui, ce roman me donne l’occasion d’émettre une opinion : la terre est en train de nous foutre dehors. « She is kicking us out! » Et en vrai ? Nous le méritons largement !
« La riposte » évoque un accident industriel (explosion d’une usine de produits chimiques). À la suite de cet événement et après mise en quarantaine de tout le quartier, les médecins ont constaté une contamination générale. Le verdict est sans appel : leucémies en masse. Les jeunes filles n’ont plus leurs règles avant l’âge de 20 ans, les autorités encouragent à la stérilisation… La sélection sociale est en marche par manque de médicaments, par disparition des plantes médicinales, par effondrement des chaînes de production. Dehors les hommes !
Face à une canicule sans précédent, le gouvernement décide de tenter une ultime manœuvre pour faire baisser la température : le blanchiment du ciel pour permettre une baisse de 3 degrés de température de la terre en mettant en place un bouclier solaire. Je vous laisse découvrir comment…
Devant ces fatalités, une partie de la population se révolte, un groupe nommé « Absolum » éclôt qui se veut être un mouvement de « Révolution pour la Terre. » C’est là que Jonas observe la détermination de Khadija, qui elle y croit encore, quand lui est bien plus pessimiste sur le sujet. « Je crois avoir décidé là d’arrêter et de sortir par la petite porte de l’Histoire, en choisissant l’heure et le jour. Je ne veux pas mourir avant d’être sûr d’avoir été vivant. »
Alors ? Roman de l’imaginaire, fantasme ou réalité proche ? Jean-François Hardy a été plume au cabinet de la ministre de l’Écologie de 2019 à 2021. Cela vous donne un indice… « La riposte », c’est une forme de clairvoyance sur notre monde actuel qui permet d’imaginer celui de demain, car, ne nous y trompons pas, les batailles évoquées seront à livrer. Pendant que Bezos se paie le luxe d’aller dans l’espace et revient avec une idée politiquement correcte pour justifier son voyage « Nous devons déplacer les industries lourdes et polluantes dans l’espace pour préserver ce sublime trésor qu’est la terre », d’autres luttent pour préserver « l’espoir de retrouver la vie d’avant. ». Les populations, elles, sont de plus en plus en souffrance… Aujourd’hui, en 2021, nous nous battons contre une épidémie, mais aussi contre une recrudescence du nombre de cancers sur des personnes jeunes, sans parler d’autres maladies émergentes…Demain, notre combat, s’il est encore réaliste sera d’une toute autre envergure. Comme l’exprime très bien Jonas « Et gloire à ce monde, à son industrie pétrochimique, à l’agroalimentaire, aux bagnoles et aux avions, qui ont rendu le cancer aussi obligatoire que l’école primaire. » Jean-François Hardy a une plume visionnaire, réaliste, pessimiste. Il met en lumière la révolte, cette riposte de la terre contre ses habitants qui n’ont pas su protéger le trésor qu’ils avaient au creux de leurs mains.
Voici un premier roman perspicace, lucide et psychologue. Nécessaire.
Premier roman perspicace, lucide et psychologue
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