Chris5867- 28/09/2022

Jusqu’ici tout allait bien...

Depuis plus de 30 ans, la vie de Jonathan Noël est immuable, sans aspérité, sans surprise, sans excès et sans imprévus, sans rien du tout en fait. Il occupe un poste de vigile dans une banque, occupe une chambre de bonne à Paris, vit chichement et ne s’octroie que de petits plaisirs et encore, très occasionnellement. Mais ce matin là, l’imprévu va s’inviter sur le pas de sa porte, sous la forme d’un pigeon qui est entré par un vasistas resté ouvert. Ce pigeon, à ses yeux, symbolise le désordre, l’imprévu, et donc le danger. A partir de là, de cette simple rencontre, tout vacille dans le quotidien ultra rangé de Jonathan, au point de presque mettre sa vie en danger. Patrick Süskind est surtout connu comme étant l’auteur du formidable (mais très dérangeant) « Le Parfum ». Il signe ici un roman très court, qui ne se déroule que sur quelques heures mais presque aussi édifiant. On a d’abord du mal à comprendre le mode de vie de Jonathan, et donc aussi du mal à appréhender en quoi un simple pigeon peut perturber ce quinquagénaire. Mais l’explication est peut-être à chercher dans les premières pages celles qui évoquent la jeunesse de Jonathan : ses parents qui sont raflés en 1942 et qui le laissent seul, aux mains d’un oncle qui va régenter la vie de ce jeune homme au-delà de l’acceptable. Avant cet évènement funeste Jonathan n’était surement qu’un enfant comme les autres mais l’imprévu (= la rafle) va faire basculer sa vie. Une fois sa vie remise sur des rails bien droits, il fuira l’imprévu jusqu’à l’arrivée du volatile, qui probablement réveille tous les souvenirs et les peurs enfouies. En tous cas c’est comme cela que je comprends ce roman, mais c’est une interprétation toute personnelle. Süskind nous emmène dans les pas de Jonathan, nous fait toucher du doigt son désespoir et même si on a du mal à le comprendre, on est en empathie avec ce drôle de type qui subit sa vie plus qu’il ne la vit. Il passe à côté de l’existence tout en étant parfaitement serein, et même heureux. Le bonheur du vide, la sérénité de la répétition, de la mesure, de la prudence, Jonathan personnifie à l’extrême cette tendance qui existe en chacun de nous, dans des doses variables. La fin est conforme à ce qu’elle doit être, ironique et sans jugement moral, juste dans l’ordre des choses. « Le Pigeon » est un petit roman étonnant, qui se picore en quelques heures et qui confirme que décidément, Patrick Süskind aime les destins brisés et les personnages excessifs mais qui restent toujours, malgré tout, parfaitement crédibles.