SudOuest- 12/02/2021

De la tendresse, de la mélancolie, mais pas de sensiblerie.

Au départ tout est « normal». Jacques et Lucie. Un jeune homme, une jeune femme, qui se rencontrent à Nice, leur ville natale, durant les années 1960. Tous deux épris l’un de l’autre, mais aussi d’art, de musique, de littérature, ils se marient et très vite la vie provinciale ne suffit plus à leurs désirs et les voilà à Paris, bientôt dans l’effervescence de mai 68. Une enfant naît, la petite Constance. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, promis. Sauf que s’aimer, se désirer, ce n’est pas ou pas seulement aimer ce qu’aime le ou la conjoint(e). Sauf que Jacques se sent enfin libre, libre d’être lui-même, ce qu’il a toujours su être sans se l’avouer tout à fait vraiment (a contrario de son jeune frère qui l’assume pleinement depuis toujours) : un garçon qui aime les garçons. Quelques promenades dans des lieux clandestins de rencontres nocturnes plus tard, un autre homme qui apparaît dans le paysage, et l’inéluctable se produit ; il quitte le foyer familial, sans perdre toutefois jamais l’affection réciproque qui le lie à ces deux êtres qu’il laisse, et notamment à sa fille. Le temps passera et Jacques en profitera pleinement, tant dans ses passions que dans sa vie amoureuse. Jusqu’à ce que s’éteignent les lumières, celles de la nuit d’abord, avec l’apparition à l’orée des années 1980 d’un virus d’abord nommé « le cancer des homosexuels ». Jacques meurt du Sida une dizaine d’années plus tard. Dignité Constance Joly, fille de Jacques, a bien grandi (si tant est qu’il soit possible de le faire lorsque l’on subit, jeune fille encore, cette sorte de deuil). La preuve, ce livre, « Over the rainbow » (hymne gay et Judy Garland, star queer s’il en est...), son second après un déjà très remarqué « Le matin est un tigre ». Entendons-nous, le label de « vérité » de ce récit n’est en aucun cas une garantie de sa qualité, ce serait trop simple (et pourtant trop de soi-disant écrivains pensent encore que cela vaut passeport pour la littérature...). Si ces pages émeuvent tant, c’est d’abord et avant tout par leur dignité, leur émotion bien sûr et la justesse de la distance qu’impose l’auteure entre son livre et son sujet. Car c’est bien dans cet « écart-là » que se niche l’authentique littérature. On songe en le lisant à l’admirable « Personne », de Gwenaëlle Aubry (prix Femina 2009), ou à la capacité d’incarnation de jeunes écrivains d’aujourd’hui, comme Arnaud Cathrine ou Sylvain Prudhomme. De la tendresse, de la mélancolie, mais pas de sensiblerie. « Over the rainbow » serre le cœur et sert les endeuillés.

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