Un pays inconnu miné par une guerre civile qui a duré 10 longues années : Le Nord riche et urbanisé a vaincu le Sud pauvre et rural. En guise de réconciliation, il a été décidé de construire une route reliant le Sud au Nord, une route bitumée magnifique qui permettra au Sud de trouver enfin la paix et la prospérité. Une fois la route terminée, une grande parade est prévue. Deux ouvriers étrangers sont recrutés pour construire la route : leur employeur décide de les « anonymiser » : ils s’appelleront donc Quatre et Neuf durant la durée des travaux. Quatre et neuf n’ont rien en commun, et la cohabitation s’annonce pénible et source de dangers…
Dave Eggers nous offre, avec « La Parade», un petit roman un peu étrange, une sorte de conte moral impossible à situer dans le temps ou l’espace. Ce pays déchiré a tout l’air d’un pays pauvre d’Amérique du Sud, et les deux ouvriers deux Américains du Nord mais cela n’est jamais réellement clair. Nous suivons donc Quatre et Neuf le long de cette route en construction qu’ils bitument kilomètres par kilomètres. Leur timing est serré, leur quotidien spartiate, leur règlement plein d’interdits. Quatre est aussi obéissant et concentré sur son travail, imperméable aux populations rencontrées que Neuf est volubile, spontané et jouisseur. D’emblée le second exaspère le premier. Le roman s’attache essentiellement à Quatre, qui au fil des kilomètres et des événements sort de son attitude psychorigide tandis que Neuf, lui ne varie pas d’un iota dans son comportement, jusqu’à en payer physiquement le prix. Plus la route avance, plus les problèmes s’accumulent : Neuf a donné le téléphone de secours et la trousse de premiers soins à des pauvres gens, les populations rencontrées sont de plus en plus difficiles à ignorer tant leur pauvreté et leur souffrance sautent aux yeux. Et puis les feux de la Guerre Civile sont mal éteints : le rebelles du Sud sont toujours armés, les enlèvements avec demande de rançon toujours possibles, les assassinats sans autres forme de procès aussi ! « La Parade », avec son dernier paragraphe terrifiant de cynisme et de noirceur (j’avais redouté ce genre de fin, ça n’a pas loupé!), est un petit roman sur l’obéissance aux ordres et l’impossibilité d’ignorer la souffrance de l’autre, quoi que l‘on a décidé au départ. C’est aussi une réflexion sur la géographie et la sociologie d’un pays vaste et disparate, la partage des richesses, la notion d’unité nationale, les possibilités (ou non) de réconciliation, les haines recuites qui ne s’effacent pas juste parce que l’on a décrété la Paix. Finalement, « La Parade » est un récit intemporel et universel sur le drame ultime qu’est une Guerre Civile. Le récit est tendu, le sentiment de malaise va crescendo, on sent que le drame n’est jamais loin : pas d’humour, pas de digressions en flash back, pas de pathos, le style est volontairement sec, ce qui peut déconcerter et même un peu rebuter. La fin nous assomme, Dave Eggers (dont j’avais lu l’épatant et terrifiant « Le Cercle ») est sans illusions sur la nature humaine, on sait au fond de nous qu’il vise juste.
Parade pour un pays défunt
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