Je n'avais jamais lu Tesson. Et pire, je n'avais jamais eu envie de le lire. Mais ne dit-on pas qu'il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis ? Alors, même si j'ai tendance à l'être sacrément parfois, quand il s'agit de littérature, je n'ai pas ce travers-là. J'ai donc lu Tesson, cet écrivain-voyageur parti seul, 6 mois, dans une cabane au bord d'un lac de Sibérie. Et contrairement à ce qu'on pourrait penser, ce n'est pas le froid qui m'a giflée, c'est le livre tout entier.
On le croirait fou, n’est-ce pas, cet homme à ce point éloigné de la société qu'il décide, au moins pour un temps, de s'en échapper. Mais croyez-moi, s'il l'est, alors il est des fous qu'on devrait écouter plus attentivement.
Se soustraire au monde est sûrement l’un des actes de rébellion les plus forts, mais c’est aussi accepter de se confronter, soi, et de voyager plus loin que ce que l’on aurait pensé, au cœur de notre propre forêt. C’est se risquer au possible ennui, à côtoyer son chaud et son froid, et oser se regarder sans artifice et sans reflet, puisque sans l’Autre.
Alors j’ai accepté de m’attarder et de frissonner en plein été. Au bord du lac Baïkal, j’ai écouté Sylvain Tesson me parler des ours, de la vodka, des pins nains et des mésanges lugubres. J’ai lu en tendant l’oreille. Sur le papier, sa voix et le silence des hommes. Autour, les bruits de la forêt, de la vie vraie, loin du tumulte citadin. Et en sentant le vent gronder et la froidure m’envelopper, je me suis abritée dans la cabane à mon tour et m’y suis sentie bien, protégée. Cocon utérin, foyer maternel, elle m’a prise en son sein tandis que je m’y enivrais des aphorismes de celui qui l’habitait.
Il ne faut pas se fier au calme apparent de l’eau après son gel, ni à celui de la forêt en plein hiver. Ne pas croire l’ermite aussi tranquille qu’il y paraît. L’agitation est plus profonde que ce que la surface et les cimes ne laissent deviner. On pourrait ne voir à peine que quelques fissures, un peu de vent dans les branches alentour, mais dessous, la vie, ses mouvements et ceux passionnants de l’esprit-fleuve du Tesson.
Ainsi, si l’ermite est philosophe, il est aussi et surtout moins tranquille qu’il n’y paraît car l’esprit ne connaît pas le repos. Et tant mieux, parce que le lire aura apporté beaucoup au mien.
Loin des hommes, retiré de la société, l’anachorète y pense pourtant souvent et nous livre, par bribes, ses pensées. Mais était-il vraiment si seul dans sa tanière ? Pas vraiment. Entouré de ses livres, de ses chiens, de vodka et de son temps libéré, Tesson s’accompagne et nous offre une place dans sa bulle.
Alors oui, je n'avais jamais lu Tesson, mais j'ai lu Tesson, et je relirai Tesson. Et je compte bien continuer à le conjuguer à tous les temps, longtemps.
Érudit et passionnant
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