Sonneur- 28/01/2024

Woolf 1922 : eaux adoucies

Un cri d'appel. On appelle Jacob, mais il ne répond pas, il est encore un enfant insouciant. Un crâne de mouton trouvé sur la plage, une tempête maritime nocturne, on n'entend que la voix des morts en 1922 dans la ville côtière scarifiée. L'écriture en fragments permet à Virginia Woolf, dans son troisième livre, de prendre son envol stylistique en s'éloignant - encore timidement - du classicisme de ses deux premiers romans pour entamer les recherches formelles qui l'amèneront vers ses chefs-d'œuvre. Woolf ne renonce pas à la technique du narrateur omniscient mais celui-ci s'étiole et l'écriture en fragments lui permet, par touches impressionnistes emplies de douceur, de donner différents points de vue sur son personnage principal.  Elle ne trempe pas sa plume dans l'amertume, comme son personnage Julia, mais plutôt dans la bienveillance, et l'ironie est moins présente que dans ses deux précédents romans. Comme des prémonitions ou des rappels, les vagues, un phare, un bateau avec une traversée qui n'est pas celle des apparences, sont là et Jacob tient même une échelle à un moment donné. On se glisse dans ce roman comme on met un plaid sur ses épaules, sûr d'être réchauffé. Le style de Virginia nous enveloppe : surgissent néanmoins des baïonnettes enflammées et des becs de gaz embrasés. Le 5 novembre, jour de Guy Fawkes, c'est du regard d'une fille vers le feu dont on se souvient pendant que Mrs Durrant lit l'enfer de Dante, et les fragments de dialogues de Woolf font penser aux épiphanies de Joyce... Mais tous les trésors d'intelligence de la bibliothèque (en l'occurrence celle du British Museum) n'empêchent pas la guerre d'arriver. Un cri d'appel. Une femme appelle Jacob, mais il ne répond pas, il est encore un jeune homme insouciant. Il ne répond pas, part à la guerre et meurt.