Il faut reconnaître que la position d'outsider donne à celui ou celle qui s'y trouve, comme une aura d'irrévérence. Le fait d'échouer aussi près du but, et dans un concours littéraire aussi prestigieux que le prix Goncourt - connaissant les implications politiques que cela comporte - c'est comme se voir marquer du sceau de la subversion.
Cette position de finaliste et la gronde menée par des auteurs prestigieux tels que Louis Aragon, André Gide, André Malraux... Ne pouvait qu'apporter une immense publicité au livre de Louis Guilloux lorsqu'il parut en 1935.
« Le Sang noir » place son action, vingt-quatre heures durant, dans une ville de l'arrière du premier conflit mondial. Malgré des soldats de plus en plus fatigués, découragés voire séditieux. Les notables en la personne du Maire, des professeurs du lycée communal, professent un patriotisme exacerbé jurant avec les horreurs du front. Il en va à celui qui se démarquera le plus par ses diatribes et ses marques d'attention patriotiques.
Au milieu de cette atmosphère obséquieuse, François Merlin dit « Cripure » (en référence au Critique de la Raison Pure de Kant), professeur de philosophie au lycée communal - personnalité autrefois estimée pour ses travaux intellectuels et tombée en disgrâce - traînant son infirmité et sa mine patibulaire tout en concentrant sa hargne à l'encontre de cette clique qu'il méprise. Partout, autour de lui, règne la bêtise, la vanité. Et elle ne trouve pas de meilleure personnification que son rival : le professeur Nabucet.
Véritable pamphlet contre la bêtise humaine. Louis Guilloux se joue des conventions. Brise le tabou sur les conséquences de la guerre, et montre bien la différence entre ceux qui la vivent dans leur chair, et ceux qui la fantasme dans leur confort bourgeois.
Niveau désenchantement sur ce que l'humanité peut compter de bassesses, le livre n'a rien à envier au « Voyage au bout de la Nuit » de Céline, auquel il est souvent comparé.
Un chef d'oeuvre méconnu de la littérature française du XXÈME siècle, dont je ne peux résister à vous présenter le slogan publicitaire en guise de conclusion :
« La vérité de cette vie, ce n'est pas qu'on meurt, mais qu'on meurt volé. »
Chef d’œuvre méconnu !
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