Azur asphalte

"Tu n'as qu'à traverser la rue". Il y a un refrain qui revient souvent. Celui qui consiste à culpabiliser le soi-disant manque de prise d'initiative. Si les gens n'y arrivent pas, c'est "qu'ils ne se bougent pas assez le cul". Et puis il y a la réalité. Pour bon nombre de gens, le droit de rêver d'un meilleur n'existe pas. C'est inatteignable. Toute la force est jetée dans le maintien au-dessus de la ligne de flottaison. Sylvain Bordesoules manie avec brio le constat froid, loin de toute caricature. Il dépeint le déterminisme social. Dans "Azur Asphalte", on suit deux sœurs dans la débrouille. Elles ne vivent pas vraiment, elles gèrent. Tentent de joindre quelques bouts pour arriver à un ensemble cohérent qui leur permettra de s'en satisfaire. Pour l'une, c'est l'éducation de ses enfants et la difficile gestion du planning d'une mère isolée qui dicte le rythme de vie. Entre boulot à 80 % pour pouvoir éviter toute démission parentale et vie sociale limitée au strict minimum, il y a peu de place pour l'espoir. Pour l'autre, Melissa, il s'agit de trouver le boulot qui lui permettra de voir plus loin que le petit studio qu'elle occupe avec sa copine. Elle n'a pas envie de trimer pour rien et d'avoir à s'excuser de son endométriose qui l'handicape chaque mois. Normal. Mais rien n'est fait pour puissent avoir un peu d'oxygène. Alors elles la partagent à deux. S'entraident. Se parlent. Sèchement. Comme si le temps manquait pour parler du fond. Tout transpire la résilience. On est dans l'immédiateté. Celle qui pousse à attendre la nuit pour seul repos. C'est sublime dans les traits feutrés, colorés de jaune et du bleu de la mer, qui donne un faux air paradisiaque à la prison sociale. On peut toujours analyser les raisons de la montée de la colère électorale. Se demander pourquoi les gens votent pour le repli sur soi et les thèses marrons. Mais pour beaucoup, lire, réfléchir et envisager l'avenir est impossible. Il est temps d'adopter les mesures qui le permettront.