Fureur et mystère

Il m'a offert un vers que je garde pour la personne qui me sera spéciale, merci René

Pour être honnête, il n'y a que les Feuillets d'Hypnos, qui constituent le cœur de l'œuvre, qui m'ont vraiment plu. Je ne les ai pas seulement appréciés, ces aphorismes articulés les uns aux autres, avec pour toile de fond la Résistance, sont grandioses et témoignent d'une vérité de l'homme, une vérité pure que l'on trouve rarement chez d'autres auteurs. Évidemment, sa manière de faire est très obscure, mystérieuse mais pourtant les signes sont frappants. Même si l'on est déboussolé par quelque étrangeté lexicale ou rapprochement barbare, la poésie de Char fait toujours réfléchir, place le lecteur en position active de sorte qu'il s'intéresse à son environnement, de plus près, avec un regard poéthique justement. Les parties inaugurale et finale m'ont moins touché peut-être à cause d'un fil conducteur coupé par ci par là avec la présentation d'un monde dissimulé lui-même par un voile, devant lequel le lecteur peut se sentir rejeté, incapable de percer à jour tout le mystère, toute l'énigme de ces lignes où tout et rien sont dit simultanément. Laconique et témoignant de l'universel d'une précision extrême, Fureur et mystère témoigne bien, à la fois d'une part d'ombre et de lumière. Son poète reste virtuose quant à la redéfinition de l'être et tout ce qui s'en rattache. Je garderai la beauté de ce passage : « un mystère nouveau chante dans vos os, développez votre étrangeté légitime » ! C'est ici le dernier adjectif qui m'intéresse le plus.

Douche froide sur les 80 première pages. Je patauge, Char me perd. Et puis il y a Hypnos ; la réalité et l'urgence face au poème, c'est désarmant. "Développez votre étrangeté légitime" --- TU AS BIEN FAIT DE PARTIR, ARTHUR RIMBAUD! Tu as bien fait de partir, Arthur Rimbaud! Tes dix-huit ans réfractaires à l’amitié, à la malveillance, à la sottise des poètes de Paris ainsi qu’au ronronnement d’abeille stérile de ta famille ardennaise un peu folle, tu as bien fait de les éparpiller aux vents du large, de les jeter sous le couteau de leur précoce guillotine. Tu as eu raison d’abandonner le boulevard des paresseux, les estaminets des pisse-lyres, pour l’enfer des bêtes, pour le commerce des rusés et le bonjour des simples. Cet élan absurde du corps et de l’âme, ce boulet de canon qui atteint sa cible en la faisant éclater, oui, c’est bien là la vie d’un homme! On ne peut pas, au sortir de l’enfance, indéfiniment étrangler son prochain. Si les volcans changent peu de place, leur lave parcourt le grand vide du monde et lui apporte des vertus qui chantent dans ses plaies. Tu as bien fait de partir, Arthur Rimbaud! Nous sommes quelques-uns à croire sans preuve le bonheur possible avec toi.