Défense de cracher ! : pollution, environnement et santé à la Belle Epoque

La Belle Époque a été la grande période des hygiénistes et de la microbiologie. Mais cela n’a pas éradiqué la hantise de la maladie et des épidémies. Elles ont fleuri dans les rues du Paris haussmannien, ce Paris qui découvrait les réseaux d’eau potable et ceux des égouts (fournisseurs d’un précieux azote) : des plaques émaillées stipulant “défense de cracher”. C’est encore de circonstance. L’historien de la médecine, Pierre Darmon, revient sur cette belle époque des hygiénistes qui succède à bien des épidémies comme le très effrayant choléra de 1832 (100 000 morts en France en six mois). Bientôt, on ne croira plus que l’apparente pureté de l’eau en garantit l’inoffensivité. On ne prétendra plus que les miasmes sont des ennemis invisibles ou des malédictions divines. Au pire de ces contradictions, l’eau devient éminemment suspecte et l’homme, contaminé ou contaminant, hautement responsable. Autant par ses habitudes – l’exemple du mouchoir propre rangé dans une poche souillée par de précédents mouchoirs remplis d’expectorations– que par ses inventions parfois pernicieuses, comme le macadam qui emprisonne dangereusement d’anciennes infections et soulève des poussières chargées. Pointez les poussières Et voilà la grande criminelle de cette pollution microbienne, cette poussière volatile qui s’insinue partout. Tenez, montez sur la butte Montmartre et observez Paris sous vos yeux. Splendide panorama. Imaginez-vous à la Belle Époque. Aux fumées d’usine s’ajoutaient celles des foyers domestiques chauffés au charbon de bois. Toutes les vapeurs d’eau emberlificotées dans les microparticules de suie tapissaient le ciel d’un brouillard opaque et se posaient sur les façades. Il faut compter aussi sur les odeurs, que dans cette fin XIXe des savants allaient traquer en sillonnant minutieusement les rues de la capitale pour tenter de définir leur origine. La pestilence inquiète, mais ne doit-on pas se méfier de l’air pur ? Guerre bactérienne C’est dans les chambres de malades que se joue la chasse aux germes, qui s’évanouissent plus aisément dans une pièce close quelques heures, puis nettoyée, qu’en battant draps et matelas fenêtre grande ouverte. L’hygiène est décidément aussi une chasse aux idées reçues. Pierre Darmon explore une source incroyable pour raconter cette guerre bactérienne, les revues d’hygiène et de médecine de ce temps-là, qui décrivent de nombreuses expériences, parfois incongrues, les tâtonnements des scientifiques et l’émergence de la microbiologie. On découvre que la cabale contre Semmelweis et les premiers gestes barrières n’est qu’une querelle d’ego, que les méthodes empiriques d’observation associées à des études statistiques ont de véritables vertus et que l’on aurait sans doute des leçons à tirer de la prise de conscience hygiéniste de la Belle Époque et du réel effort, dans toutes les strates, pour combattre les maléfiques pollutions qui désormais dégradent durablement la planète.