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Résumé
Comment expliquer que les romans nous habitent, que nous leur soyons si intimement attachés, alors même, nous en avons tous fait l'expérience, que nous oublions jusqu'aux noms des personnages qui nous ont été les plus chers, incapables de reconstituer les grandes lignes d'une intrigue dont il ne reste plus que des ruines ? Nous avons lu Dominique trois fois, et il ne nous en reste qu'une qualité d'atmosphère, si impalpable qu'il est presque impossible de partager une expérience réduite à une forme d'inconsistance. C'est peut-être à ce titre surtout que le roman est un genre subversif. Non parce qu'il est immoral, parce qu'il raconte des histoires d'adultère, ou parce qu'il ose faire de bagnards en fuite des héros, mais dans l'exacte mesure où il modifie le régime mémoriel de la littérature, lorsqu'il devient, au tournant du xxe siècle, le genre « cardinal », transmettant à la littérature quelque chose de l'incertitude et de l'infidélité de ses souvenirs à lui, toujours vagues ou parcellaires, excessivement sélectifs ou déformés. C'est au genre romanesque qu'il est revenu, pendant près de deux siècles, d'entraîner nos lectures, de les capitaliser en culture, autrement dit de fonder nos consciences. Or, le roman, à la différence de la poésie et du théâtre, est un genre oublieux, où les trous de mémoire sont légion, et, plus encore, où ils sont de règle. C'est un scandale que nous ne percevons plus très bien sans doute, tellement la situation nous est familière, mais dont quelques voix isolées, parmi lesquelles celles de Judith Schlanger et d'Isabelle Daunais, ont invité à faire un objet d'exploration. Des voix d'écrivains essentiellement, tant il est vrai que la mémoire « faible et variable » ou la mémoire « vague » du roman est une question qui glisse entre les doigts, dont les outils d'analyse de la critique universitaire ne se saisissent que maladroitement.