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Résumé
Sortir de chez soi Il est impossible de traduire autrement que vers sa langue maternelle. C'est vrai. Mais rien ne m'empêchait de m'engendrer à nouveau. Je suis russophone par ma mère, mais par mon père - alors inconnu - j'étais Protée, une infinité de possibles. À l'époque où je commençais à traduire, mon père pouvait être n'importe qui (« on »). Rien ne m'empêchait de m'exmatrier de ma langue, de m'empatrier dans une autre. Ayant terminé la lecture d'un livre, j'ai envie de le retourner pour recommencer à la première page. Ayant terminé une traduction, j'ai envie de la « retourner » pour retraduire dans l'autre sens. Ayant terminé l'écriture d'un livre, je ne peux plus le lire, comme s'il était écrit dans une langue étrangère. Ce texte est né d'une envie de dire comment l'écriture et la traduction s'entrelacent et s'entrechoquent. Je suis partie d'une étrangeté propre à mon parcours : au lieu de ramener une culture autre « chez moi », vers ma langue maternelle - le russe - je suis « sortie de chez moi » pour traduire vers ma langue d'adoption, le français. Cette « sortie », qui était aussi une entrée dans la culture française, m'apparaît comme un déracinement fondateur, une hérésie, certes, mais hérésie est presque une anagramme de heureuse : il en faut pour tout travail sur la langue, sur le langage. Luba Jurgenson Traduire, c'est comme marcher sur un chemin qui bougerait en même temps que vous.