Débâcle

Eva, Eva, Eva... Tessie. Ces prénoms sont restés dans ma tête durant plusieurs jours après ma lecture, ceux de la protagoniste et de sa petite sœur. Il faut avoir le cœur bien accroché pour lire les dernières pages de ce roman qui expliquent pourquoi l'auteure évoque un "été meurtrier". L'intrigue est prenante et j'ai adoré cette écriture hyper réaliste qui donne une dimension bien particulière au roman. Je recommande vivement cette lecture !

Et ben mes aïeules, c’était rude ! Attention, ce roman brillamment ficelé ne laisse pas indemne, et vous clouera assez abruptement les mirettes. La narratrice Eva de Wolf raconte son enfance dans un petit village flamand, où seuls deux autres mômes sont nés la même année qu’elle (Laurens et Pim). Tous les trois inséparables, ils grandissent dans le microcosme morne et limité d’un bled aux habitant•e•s pas franchement funky... La pauvre Eva tient son quotidien familial dramatique comme elle peut, n’attendant que l’espoir de rejoindre ses amis, de trouver de la considération, de l’affection et du respect dans leurs yeux (et dans leurs tiers). Un jour, les deux garçons décident d’élaborer un plan pour que les filles du village se déshabillent. Eva, si elle veut rester dans le groupe, doit concocter une énigme à laquelle celles-ci devront trouver la réponse. Elles auront plusieurs essais, et à chaque erreur, elles devront ôter un vêtement... Cet été traumatisera Eva à tout jamais. Des années plus tard, devenue adulte, Eva revient dans son village natal pour la première fois avec un plan précis... La force de ce roman se trouve dans l’excellence et la maîtrise de la prose. On oscille entre les flashbacks de ce fameux été où les détails terribles et habillement distillés nous sont dévoilés au compte goutte, et ce fameux trajet que fait Eva dans un but mystérieux qu’on soupçonne cependant très vite funeste. Très franchement, si le texte ne m’avait pas tant tenu en haleine, l’atmosphère plombante et les horreurs décrites de façon ultra distanciée m’auraient empêché d’arriver au bout. Cependant Lize Spit écrit des scénarios de films, et ça se sent bien. Elle parvient à rendre captif et addict à la page suivante. Je vous le conseille donc si vous n’êtes pas trop déprimé•e•s et que vous aimez les romans coup de poings. Je pense aussi que c’est un bon candidat pour les lecteur•ice•s de littérature nordique en général. Il y a une pâte qu’on retrouve bien, hyper puissante, réaliste et accablante à la fois.

Dès le départ le ton est donné, il s'est passé quelque-chose entre ces enfants inséparables devenus adolescents et qui les a marqué à jamais ... mais quoi ? L'écriture est crue, l'enchaînement des chapitres qui alternent plusieurs époques du récit accroissent le suspense. On attend avec impatience de connaître les faits, et on le regrette aussitôt: une bêtise qui devient une tragédie. Debacle, est un titre parfait. On prend une claque. C'est un magnifique roman qui remet en question nos comportements d'adolescents mais aussi de parents.

Voilà un roman qui porte vraiment bien son nom, nous sommes sur un roman dramatique, difficile, non pas à lire mais à supporter selon les passages. Je ne dévoilerai rien de l'histoire, le 4ème de couverture (plus bas dans cette chronique) suffit amplement pour ne pas en dévoiler trop. L'écriture est vraiment très bonne car l'exercice n'est pas facile, le roman a une certaine lenteur qui ici sert l'histoire du mieux possible. Le lecteur plonge littéralement dans les pages sans en décrocher, et pourtant certaines scènes sont insoutenables, des moments intenses, on est pris d'empathie pour les personnages et leurs vies. C'est un livre qui ne plaira pas à tout le monde, c'est une certitude mais si vous accrochez, accrochez également votre estomac. Je déconseille ce livre aux âmes sensibles mais aussi aux moins de 18 (enfin ce n' est que mon avis, peut-être suis-je vieux jeu ? Mais je n'aimerai pas qu'un jeune ado tombe dessus). Le contraste entre la superbe écriture et la facilité de lecture, face à la dureté, parfois la cruauté mais aussi la détresse donne au lecteur un sentiment de malaise indescriptible, un vrai coup de poing quand on comprend ce qui se passe au final. Un livre choquant et nécessaire dont je me souviendrai toute ma vie. J'ai adoré et détesté à la fois.

Généralement j'écris ma critique sur un livre à chaud, direct après l'avoir refermé ou presque. Là je n'ai pas pu et j'ai du attendre de digérer ma lecture pour savoir si j'avais aimé ou pas. "Débâcle" est glauque et m'a donné un sentiment de malaise tout le long. Le petit village dont on suit une période de la vie de quelques personnages est morne. La plupart des protaganistes semblent emplis d'une tristesse, d'une solitude immense. Tout le monde ou presque semble tout simplement terriblement malheureux au fond d'eux mêmes. Il y a assez peu de dialogues. Qui sont généralement tout aussi crus et incisif que les descriptions. J'ai eu une empathie folle pour le personnage principal Eva et pour sa soeur Tess. Ce sont à mes yeux des personnages très très réussis et qu'on ne peut pas faire autrement que d'aimer et d'avoir envie de prendre dans nos bras. Bref, généralement j'aime les histoires malaisantes, le langage cru et direct, les personnages torturés. Là, je me disais que c'était presque trop et que je me sentais parfois vraiment... oppressé par ce village et ses habitants. Ce qui a fait basculer ce livre dans mes coups de coeur, c'est la fin. Qui marque une rupture avec le reste. En effet, bien que le dénouement se devine assez tôt dans le livre et que je le redoutais, m'imaginant que ce serait le summum de la déprime... Et bien non. La fin est bien celle que j'avais imaginé mais elle est finalement emplie de douceur, elle est apaisante, elle est belle. C'est un exploit de la part de l'auteur, j'en ai eu des frissons. Verdict à froid : Un livre qui ne laisse pas insensible. Un livre dur et qui laisse bien souvent un arrière goût... aigre et malsain. Un livre avec une fin magistrale. Un livre que j'ai adoré.