La voyageuse de nuit

L’auteure se lance dans un long questionnement intime pour en tirer une œuvre flamboyante. n livre solaire. Tout y est ardent, délicat, léger et profond. L’arrière-saison de l’existence jette ses derniers feux. Et, mon dieu, qu’ils sont beaux ! Laure Adler nous engage à inventer ou redécouvrir le savoir-vieillir. Telle est la force d’une (en)quête journalistique, littéraire, poétique, sensible ; sans qu’une épithète n’ait à chasser l’autre... Postée à l’extérieur et à l’intérieur à la fois. Participante et observatrice, elle interroge des personnages célèbres, des proches, des pensionnaires de maisons de retraite ; collecte les confidences d’artistes à la tombée du crépuscule. De Sénèque à Edgar Morin. De leurs mots, elle s’abreuve, se ressource, se console. Refuser la mise hors-jeu Ce n’est pas un livre militant. Davantage un long questionnement. Si l’auteure cultive l’anecdote et le détail biographique, c’est pour en tirer une saine leçon de vie et pourfendre les idées reçues autant que la bêtise. À 70 ans, elle sait ce qui se joue « dans cette contrée où on ne peut plus tricher avec soi-même ni avec les autres ». Alors, elle prend au collet nos sociétés de précaution et de paraître, ivres de risque zéro ; refuse la mise hors-jeu symbolique de ces 15 millions de personnes qu’on nomme vilainement « seniors ». Elle préfère le mot espagnol « jubilados » ; les syllabes musclées sont comme un avant-goût de ce que peut être le sentiment de l’âge. Elle compare les civilisations traditionnelles d’Asie du Sud- Est et d’Afrique noire aux nôtres ; pour les premières, les vieillards, loin d’être perçus comme des denrées périssables, sont considérés comme des « intercesseurs du monde surnaturel ». Changer de regard Laure Adler ne s’interdit rien. Point de sujet tabou. De la libido à l’aveu biologique, de l’acuité artistique au moment de bascule où l’être abandonne la partie, de la défiance à l’amour immodéré du monde. À la lire, on comprend plus intime- ment que le temps est palimpseste, que la vieillesse peut être incandescence, remise en question, accomplissement, élection, volupté. Il suffit de changer de regard, de garder son humour et de ne pas s’abîmer dans la déploration. Voilà pourquoi elle a emprunté son titre à une citation de Chateaubriand : « La vieillesse est une voyageuse de nuit : la terre lui est cachée ; elle ne découvre plus que le ciel ». Rien ne ment, ni l’écriture ni le fond. Ce récit est une coulée de lumière. Le soleil peut revenir. Et la mélancolie se taire.

Laure Adler a su trouver les mots justes pour décrire cette vieillesse si souvent mise de côté, hélas. Réflexions sur le vivre-ensemble avec nos aînés, à les aimer sans les cacher, sur ce temps qui passe, sur la mort qui est le « non-sens qui donne sens à la vie » sur l’âge qui est un sentiment et non une réalité !!

Dans cet essai, Laure Adler interroge les spécialistes du grand âge (gérontologies, philosophes, écrivains…). Tous témoignent de la difficulté d’être vieux aujourd’hui même si quelques rares personnes acceptent ou même mieux, profitent de ce -dernier-temps. Essayons de faire comme eux ! . D’actualité en tous cas.