Le palais des deux collines

Premier roman de ce jeune auteur, j'ai été fasciné par une écriture aux apparences spontanées et très orales, mais qui cache une vraie composition picturale moderne. Il y a un dédain manifeste pour les codes formels, une liberté quasi totale dans le déroulé diégétique qui agacera. Une légère immaturité dans l'intention stylistique (quelques contrastes de ton qui m'ont paru forcés). Karim Kattan raconte l'histoire cauchemardesque du retour au pays de Faysal, européen d'adoption qui soudain reçoit un mystérieux faire-part de décès d'une tante qu'il n'avait pas connu. Que connaissait-il, d'ailleurs ? Lui qui pourtant croyait avoir consigné tous les noms de ses défunts aïeux. Subsistait-il quelque secret de famille ? Que reste-t-il du palais de ses grands-parents, dont il est le seul héritier, de ses salons grotesques, des amandiers, des deux collines, du village et du café fantasque de Jihad ? Il n'en savait que trop peu, il avait oublié peut-être, au gré de ses séjours dans ces internats européens, ce qu'était la Palestine. Revenu dans ce village, dans cette maison, il se remémore les affaires du grand-père Ibrahim, sa passion pour son oncle Ayoub, les narcisses et le jasmin, l'engagement politique de Nawal, sa grand-mère, ce prêtre, mystérieux bellâtre résistant, et ce vase rouge, caché quelque part... Faysal, puis Nawal qui hante ce palais abandonné, nous narrent une descente aux enfers, l'aliénation mentale inexorable de Faysal dans ce village fictif de Jabalayn, menacé par l'avancée inexorable des colons, dont chaque étape rythme le roman. Karim Kattan nous offre une lecture difficile, hachée et exigeante. Le roman mérite une deuxième lecture, qui fera apprécier le travail de composition de l'auteur. Son travail est plus proche de celui d'un peintre qui par touches parfois violentes, parfois si délicates, nous livre une interrogation brutale sur la mémoire, l'identité et les dégâts irréversibles de la colonisation israélienne de la Palestine. A lire.