Le tissu de crin

Une bien singulière histoire que celle d’Ida, première d’atelier d’une maison de haute couture parisienne au début des années 50. Elle va voir son quotidien perturbé par l’arrivée de Jean : jeune mannequin cabine tout droit sorti de sa province. La beauté diaphane et le caractère mutique de ce dernier vont réveiller un désir ardent chez Ida. Un désir qu’elle croyait, du haut de son âge avancé, totalement disparu. Et qu’elle va vouloir à tout prix assouvir, quitte à jouer de sa position. Mais il est des êtres qu’il ne vaut mieux jamais tenter de posséder… Il y a de cela quelques mois, j’ai découvert Jennifer Kerner à travers son essai/témoignage Le mari de nuit, relatant les diverses pratiques funéraires autour du globe, avec en parallèle le témoignage de sa propre expérience du deuil. « Le tissu de crin » en guise de premier roman fait montre d’un grand soin dans le travail de reconstitution d’une époque et d’un corps de métier. L’autrice nous épargne des anachronismes, qui sont souvent inhérents à ce genre d’histoire et qui peuvent être la faiblesse d’un premier roman. Mais là où l’écrivaine impressionne, c’est dans le soin apporté au style. Je sais qu’une des influences qu’elle revendique clairement est celle de l’écrivain Jean Giono. Et qu’elle a pour livre favori « Un roi sans divertissement ». J’ignore si c’est parce que j’ai lu ce dernier il y a quelques semaines. Mais l’influence de l’écrivain de Manosque est vraiment prégnante au fil des pages. En plus d’être cité explicitement dans les derniers chapitres. On retrouve le même souci du détail : couleurs, senteurs et textures sont habilement restituées. Des métaphores et des descriptions qui mettent les sens du lecteur en ébullition. Et surtout, la même capacité de sonder la psychologie de ses personnages jusqu’à en faire surgir les aspects les plus inavouables. Une excellente première incursion dans la littérature qui, au milieu de la masse de romans anecdotiques et sans style, mérite largement de tomber entre toutes les mains.