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Résumé
Le prince sacrifié Comme en Grèce, le théâtre classique en France doit son émergence au chevauchement de deux systèmes de valeurs à la fois inévitables et incompatibles. Les conflits naissant de leur opposition, ne pouvant s'exprimer ni dans l'espace politique ni dans la dimension religieuse, empruntent la voie de l'art. Grâce à sa relative autonomie, la scène théâtrale offre aux auteurs la possibilité d'explorer les arcanes du gouvernement des hommes. Alors que, dans Le roi-machine, le souverain était saisi dans sa fonction d'organisateur, tout ensemble metteur en scène et héros d'un spectacle politique, ici l'image monarchique est analysée dans son apparence sacrée. Au théâtre, le rex et le sacerdos ne sont plus incompatibles. Le premier incarne l'État, il gère le réel dans la longue durée, selon une temporalité historique à la fois cyclique et oscillatoire. Le second prend en charge l'imaginaire et, sur une autre scène, il se sacrifie en représentation. Le temps tragique qui en découle est l'envers de celui de l'histoire ; il est subjectif, personnel, incommunicable. C'est le temps du vécu intime, celui du fantasme ; il se présente comme un instant longuement suspendu grâce aux procédés rhétoriques mis en oeuvre dans les tirades. A la charnière de la religion et de l'art, le théâtre sous Louis XIV s'apparente à un rituel qui permet à la collectivité d'accomplir le « travail de deuil » des valeurs anciennes, absolues, liées à la société médiévale. En les représentant sous forme de symptômes, en permettant leur récitation tragique, la scène classique assure leur évacuation, ou du moins leur offre une autre place, à l'intérieur de la conscience individuelle, parce qu'elles sont désormais incompatibles avec les valeurs de la modernité fondées sur la comparaison, l'échange monétaire et la mise en relation, c'est-à-dire la relativité. Cette interprétation politique de la littérature permet une relecture nouvelle des grandes oeuvres de Corneille, Racine et Molière.