Un roi sans divertissement

Je retrouve Jean Giono avec ce livre étrange paru en 1947, rempli de personnages inquiétants, dont j'ai tant de fois repoussé la lecture. "Un roi sans divertissement est un roi plein de misère." Pascal Cela commence comme un roman policier. Durant l'hiver 1843, une jeune femme disparaît dans un village des Alpes. Disparition bientôt suivie d'autres faits étranges. Pour résoudre ce mystère, on demande l’aide du capitaine Langlois, gendarme énergique et autoritaire d'une ville voisine. La deuxième partie est une véritable bascule qui surprend. Beaucoup plus énigmatique et foutraque. On erre, un peu paumé, dans un paysage figé quasi lunaire. Après avoir mis fin aux mystérieux meurtres en tuant de sang froid l'assassin, sans même un semblant de justice, le capitaine Langlois démissionne tout aussi mystérieusement et s'installe quelques mois plus tard pour d'obscures raisons dans le village. Mais Langlois n'est plus le même homme, il est devenu taciturne et taiseux. Dans un hiver montagnard blanc et sans contour, dans lequel rien ne se passe, Giono décrit le vide et l'ennui qui mènent à une pulsion de mort irrépressible. Sous son air bonhomme, Langlois, contaminé par un vertige existentiel, laisse transparaître celui qui tue pour se divertir. Misère. Un texte très noir, absurde et plutôt déroutant. Singulier et surprenant. Qui exige de nous-mêmes un exercice de lâcher prise pour être pleinement apprécié. Je lis à voix haute. J'égrène les mots. Je me concentre sur le caractère hypnotique de l'écriture. Dans une veine très différente de celle que je lui connaissais, Giono interroge ici la banalité du mal, l'absurdité de l'existence ou sa vacuité, la confrontation avec soi-même, la condition humaine.