Fascisme français

Peut-on dire, comme l’historien israélien Zeev Sternhell, que la France soit le berceau du fascisme ? La théorie souffre de graves défauts. Histoire Peut-on dire, comme l’historien israélien Zeev Sternhell, que la France soit le berceau du fascisme ? La théorie souffre de graves défauts  Zeev Sternhell est mort en juin dernier, à Jérusalem, alors que paraissait en France la nouvelle édition d’un livre collectif d’historiens consacré au « fascisme français ». L’ouvrage, dédié à réfuter les thèses de l’histo-  Le colonel de La Rocque, rien et politologue israélien sur le  nationaliste mais pas fasciste sujet, était sorti en 2014 et intégrait un texte de l’historien italien Emilio Gentile, datant de 2002, sur la définition du fascisme. Le voilà qui res- sort en version enrichie, sous la houlette de Serge Berstein et Mi chel Winock, avec une préface de Jean-Noël Jeanneney. Ces trois universitaires ont en commun d’avoir été vilipendés, avec d’autres par Sternhell, sous prétexte qu’ils dé fendraient la « thèse immunitaire » selon laquelle la France aurait été protégée du fascisme à l’inverse de l’Allemagne hitlérienne, de l’Italie mussolinienne ou de l’Espagne franquiste.  Réalités de terrain : la polémique sent le soufre et dure depuis longtemps. Car le moins qu’on puisse dire est que la méthode employée par Sternhell et ses disciples pour prouver que la France fut le berceau et le terrain d’élection de cette idéologie en sort lourdement cabossée. En gros, le collectif, qui regroupe les historiens les plus chevronnés sur le fascisme, reproche à l’auteur israélien de vouloir imposer sa thèse en tordant les faits pour les faire coïncider avec ses présupposés. Bref, de mépriser l’histoire et préférer les idées pures aux réalités de terrain. La controverse a rebondi en 2019 lorsque Sternhell et son école ont pu-blié « L’Histoire refoulée », livre consacré à épaissir l’idée selon laquelle le Parti social français des années 1930, celui du colonel François de La Rocque et ses « Croix de feu », était un parti authentiquement fasciste. L’enjeu est énorme car si personne ne conteste que la « droite révolutionnaire » française de la fin du XIXe siècle (décrite par Sternhell, en 1978) fut un laboratoire d’idées préfascistes, il est bien plus hasardeux de prétendre qu’elles ont donné naissance à un parti de masse. À moins de prouver que le PSF, qui comptait un million d’adhérents en 1936, était fasciste.  La Rocque, pétainiste... et résistant Or les travaux les plus sérieux sur le PSF sont formels : si le colonel de La Rocque était un nationaliste ma- niant un anti-parlementarisme au demeurant assez répandu, son refus de marcher avec ses troupes sur l’Assemblée, le 6 février 1934, alors que la République subissait l’assaut des ligues, sauva le régime. Diabolisé par une gauche pacifiste qui préférait dénoncer le risque fasciste à l’intérieur pour bâtir le Front popu- laire au lieu de s’opposer à Hitler, La Rocque fut pétainiste mais rallia la Résistance par antinazisme, fut  arrêté et déporté comme de nombreux membres de son parti.  Voir dans le nationalisme d’un Barrès, d’un Boulanger ou dans les idées radicales mais très minoritaires d’un Sorel ou d’un Vacher de Lapouge la matrice du fascisme est déjà discutable. Ignorer le traumatisme de la guerre de 14-18, vrai déclencheur des fascismes, puis le rôle la défaite de 1940 dans l’avènement de Pétain, l’est plus encore. La dérive finale du ré- gime de Vichy ou l’existence du Parti populaire français de Doriot, sont de maigres paravents. Mais il n’entrait pas dans les vues de Zeev Sternhell d’expliquer plutôt pourquoi l’idée républicaine a résisté et finit par s’imposer en France, y compris à ceux qui l’avaient le plus combattue.