Trashed

Qui se souvient du temps où l’on balançait dans de vieux sacs tous les détritus de la semaine, la comme ça, à même le sol, souvent la veille du passage du camion-poubelle, parfois quelques jours avant ? Qui se souvient de cette époque où ces sacs étaient soumis aux caprices du temps et des animaux errants qui venaient trouer ces poubelles pour répandre les immondices un peu partout dans la rue ? Qui se souvient qu’avant le tri sélectif, on balançait tout et n’importe quoi aux ordures, sans respect pour ces hommes qui allaient devoir se débrouiller pour faire entrer ça dans le camion benne brinquebalant et bruyant qui diffusait sur son passage une odeur parfaitement reconnaissable ? Derf Backderf, avant de devenir le dessinateur primé qu’il est aujourd’hui, a été l’un de ces hommes si nécessaires à tous. Il a connu cette période et a du subir les caprices de ces montagnes d’ordures qui, au moindre dérangement, déversaient sur l’éboueur les torrents de liquide visqueux et putride. Il a du porter presque à mains nues ces sacs troués qui dégueulaient d’asticots et de vermines en tout genre. Dans sa galerie de personnages tous plus dingues les uns que les autres, les éboueurs, corvéables à merci, ne font plus qu’un avec la matière dont ils doivent débarrasser chaque jour de la semaine les rues. Ils font corps aussi avec leur camion ; outil indispensable, mais parfois aussi dangereux qu’utile. Par son trait et sa narration si caractéristiques, Derf Backderf effectue ici une plongée dans un monde trash, underground, où se côtoient la folie des uns, l’irrespect des autres et surtout la plus grande des résignations de tout ce monde, car il faut bien travailler pour subsister. Rendu dynamique et ultra vivante par toutes les micro-anecdotes qu’elle contient, elle ne peut qu’être le reflet en grande partie réelle de ce qu’on vécu ses travailleurs avant que leurs conditions de travail ne soient quelque peu améliorées par l’arrivée des conteneurs. C’est une nouvelle fois excellent et surtout très interpelant.