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Résumé
J'aurais voulu naître près d'un océan plutôt que dans ce pays aux paupières lentes, à la peau plissée et crevassée, qui garde sur son corps et sa face les blessures sans remède des grandes secousses de l'écorce terrestre, des soubresauts de la planète aux âges perdus. Lequel y songe parmi nous, qui vivons pourtant sur leurs plaies géantes, jamais recousues, jamais recollées, vieilles cicatrices auxquelles nous osons donner les noms rassurants de collines, de vallées, de montagnes aimées. Sur leurs flancs ravagés, nous construisons villas, jardinets, hôtels, bureaux fédéraux, usines modèles, avec des soins de dentellière, un goût romain de la propreté et américain du confort, et toute la précision mécanicienne et horlogère acquise en cette contrée au cours des derniers siècles. (...) Ce corps de femme en train de vieillir, le mien, n'a pas enfanté et n'enfantera jamais. Pourtant il y eut longtemps des hommes dans ma vie. Aucun ne fut l'époux. Aucun même ne fut jamais à moi seule. Ils étaient toujours à d'autres femmes avant d'être à moi. A la leur, ou encore à d'autres. Certains appartenaient à leurs Idées. Parfois l'un poussait des racines sur mes terres. Même ceux-là n'étaient pas vraiment à moi. Cependant les souches demeurent enfoncées dans le sol longtemps après que l'arbre a été abattu. C'est pourquoi je suis parcourue de racines comme un sol forestier où les bûcherons ont beaucoup travaillé. Alice Rivaz