SudOuest- 08/04/2021

“Seuls ceux qui n’ont pas connu le feu le recherchent”

Alors que les forces spéciales ne commentent pas leurs actions, l’écrivain Jean-Christophe Notin a réuni les témoignages de 28 membres de ces unités d’élite. Ils racontent leurs motivations. Loin des clichés. Une plongée rare dans l’obscurité d’un monde à couvert fait de chutes à très haute altitude, d’infiltrations silencieuses et d’opérations coups de poing : c’est ce que propose le dernier livre de Jean-Christophe Notin, “Les Guerriers sans nom”. À ceci près qu’il ne s’agit pas d’une fiction. Mais d’une réalité complexe évoluant sur un fil : celle des forces spéciales , ces unités d’élite de l’Armée française dont une partie est basée dans notre région. Citons le 13è Régiment de dragons parachutistes en Gironde, le 1er Régiment parachutiste d’infanterie de marine de Bayonne et le 4e Régiment d’hélicoptère des forces spéciales de Pau. Un trident complété par le Commande parachutiste de l’air - CPA10-, l’escadron de transports 3/61 Poitou d’Orléans et les commandos marines. Soit près de 4 400 hommes dont nombre sont aujourd’hui déployés au Sahel. ce sont eux qui, dans l’ombre de Barkhane, traquent et neutralisent les chefs djihadistes d’al-Qaïda et de Daesh, les deux grandes franchises terroristes installées au Mali. “Souveraineté nationale” Mais alors que les forces spéciales ne commentent pas leurs actions, Jean-Christophe Notin a rassemblé le témoignage de 28 membres de cette communauté dont l’anonymat est l’une des clés de voûte. Général, lieutenant-colonel, adjudant, la plupart s’expriment pour la première fois. Un tour de force qui est d’abord le fruit d’une confiance au long cours. L’auteur navigue en effet dans les replis de la République et des armées depuis de longues années. Chercheur et écrivain, il a déjà signé plusieurs ouvrages de référence : “La Guerre de l’ombre des Français en Afghanistan” (Fayard), “La Guerre de la France au Mali” (Tallandier), ou encore “Les Guerriers de l’ombre”, dans lequel se confient des agents clandestins de la Direction générale de la sécurité extérieure. De la DGSE aux forces spéciales, Jean-Christophe Notin passe donc d’une organisation confidentielle à une autre, régies par l’intérêt supérieur de l’État. “Ce sont des éléments de souveraineté nationale”, souligne-t-il. “Pas de haine” Il lève ici surtout le voile sur les ressorts de ces hommes autorisés à tuer, leurs motivations, leur préparation, les risques qu’ils prennent et les conséquences pour leur famille. Car pour chaque opération, au Soudan, en Afghanistan ou au Mali, la mort est en surplomb. Si elle ne frappe pas à chaque fois, elle est un paramètre de la mission. Les confidents de Jean-Christophe Notin racontent ces quelques heures qui précèdent la mission; leurs interrogations dans l’hélicoptère qui va les déposer à quelques kilomètres de la cible; leur gestion de la peur; ces instants, sous le feu, où chacun joue sa vie. Au cours d’une opération au Mali en 2015, le major Sam a été touché de deux balles : “La première m’a choqué parce que je ne savais pas ce que c’était. La seconde, elle, m’a séché. Je suis tombé, j’ai lâché l’arme et je me suis dit : “Bon, ben, dans trois secondes je meurs...“” Malgré une longue rééducation et des douleurs encore présentes, il ne regrette rien : “Je n’ai aucune haine vis-à-vis du type d’en face. Il a eu sa chance, il l’a saisie, nous, on a eu des complications, c’est donnant-donnant. Pas de haine, pas de rancœur”. “La dernière balle” Même si l’adrénaline et la soif d’aventure restent des moteurs puissants chez les jeunes recrues, c’est une lucidité implacable que décryptent les plus aguerris : “Seuls ceux qui n’ont pas connu le feu le recherchent ardemment”, souligne le major Sam. Le major Mousse abonde : “La deuxième fois que vous allez au combat, vous savez ce qui va se passer. Le vrai courage, c’est d’y retourner quand on sait que la guerre, c’est de la peur, de la merde et du sang.” Les fictions hollywoodiennes peuvent remballer leurs scènes d’assaut. Ici, il n’y a pas de deuxième prise. Il faut lire les propos du capitaine de vaisseau Pedro : “Quelqu’un qui fait des missions au cours desquelles il se fait peur, où il tue, je pense que il peut avoir rapidement sa dose... Je ne veux pas dramatiser, mais face à Daesh, voyant ce qu’ils font à leurs prisonniers, les commandes peuvent être amenés à se dire : “Je garde la dernière balle pour moi”.” “Écarter les cow-boys” Cette intensité physique et psychologique explique l’intransigeance des sélections. Ce livre tord d’ailleurs le cou au cliché, largement véhiculé par le cinéma, qui dépeint des forces spéciales comme des têtes brûlées. Si la dimension physique et athlétique est incontournable, le mental l’est tout autant. Marche, parcours commandos, privation de sommeil, le tout entrecoupé d’exercices de tir, de séances de nage en eau glacée, poussent les corps et les esprits à la limite. À ces épreuves couperets s’ajoutent des tests de connaissances militaires, de culture générale, d’anglais... “On cherche à écarter les cow-boys, les gens avec un égo trop dimensionné...“, insiste le capitaine de vaisseau Bertrand. Avoir un bac +2 ou +3 est un minimum. C’est une vie hors normes qui attend ceux qui surmontent toutes ces épreuves : missions à l’étranger, contre-terrorisme, nageur de combat, libération d’otage, saut à grande ou très grande hauteur, piégeage, tireur d’élite... Les spécialités sont nombreuses. Là encore, au prix d’un entraînement permanent et sans concession. SI les premières opérations arrivent au bout de deux ou trois ans, pour qu’un membre des forces spéciales totalement formé et “mûr”, il faut sept ans. Ces guerriers n’ont pas de nom, mais tant à raconter.