Pierre- 11/01/2024

Lever le voile du mystère

Au Pays de Galles, le docteur Raymond s’adonne à une opération chirurgicale - malgré les réticences de son ami Clarke - sur le cerveau d’une jeune fille du nom de Mary. Le but de l’expérience ? Permettre à la jeune fille de voir le monde invisible. Ce que les anciens appelaient : « Voir le Grand Dieu Pan » Une opération qui fera sombrer la jeune Mary dans la folie… Des années plus tard, à Londres, a lieu une série de morts inexpliquées, impliquant de riches héritiers. Ils arborent tous sur leur visage une expression d’horreur et d’effroi, et le mode opératoire ayant mené à leur mort semble identique. Mais les points communs ne s’arrêtent pas là. Ils ont tous eu affaire, peu avant leur mort, à une jeune femme énigmatique du nom d’Helen Vaughan. Nouvelle fondatrice du genre fantastique, « Le Grand Dieu Pan » d’Arthur Machen est présentée sous la forme d’un superbe objet par les éditions Calidor. En plus de la nouvelle donnant son nom au recueil, il contient également les nouvelles : « La Lumière Intérieure », « Histoire du Cachet Noir », « Histoire de la Poudre Blanche » et « La Pyramide de Feu ». Le tout accompagné d’un appareil critique permettant un éclairage bienvenu sur un auteur, finalement, assez peu lu et compris. Que ce soit le réalisateur Guillermo Del Toro, le critique littéraire/journaliste Henri Martineau, l’auteur/éditeur américain (spécialiste de Lovecraft) S. T. Joshi, l’écrivain Jorge Luis Borges, leurs avant-propos et postfaces aident clairement à une meilleure compréhension de l’écrivain britannique. Et il faut souligner, également, la qualité du travail d’illustration de Samuel Araya. Il apporte un petit supplément d’âme, une sensation d’immersion… en plus de donner à votre bibliothèque, un petit cachet de cabinet de curiosités. Évidemment, la plupart des nouvelles d’Arthur Machen se pareront d’un petit voile désuet pour le lecteur contemporain. À titre personnel, je suis assez peu réceptif à l’horreur en littérature. Je pense que cela vient du médium qu’est le livre. Un sentiment aussi viscéral et sensitif comme la peur ne peut à mes yeux être parfaitement véhiculé sous un format, qui prête davantage à l’interprétation et à l’analyse. Ou alors est-ce moi qui suis trop insensible ? Non, vraiment, ce qui m’attire avant tout vers le genre fantastique c’est la qualité du récit. Si je suis embarqué sans avoir à questionner les éléments tangibles de l’histoire, l’auteur aura réussi son pari. Ce que réussi à faire, partiellement, Arthur Machen avec ses nouvelles. Il faut d’ailleurs souligner la qualité de la traduction de l’écrivain Paul-Jean Toulet, approuvée par l’auteur lui-même, et qui visiblement sublime l’original. Impossible de terminer cette chronique sans aborder la filiation entre Arthur Machen et H. P. Lovecraft. L’auteur britannique a eu une influence non-négligeable sur l’écrivain américain. On retrouve chez Machen cette idée d’un monde invisible, peuplé de créatures dont la simple vue provoque la folie chez de simples mortels. On verra même à un fugace instant apparaître un tentacule. Un attribut horrifique si cher à l’auteur de Providence. Mais ce qui achève de lier les deux écrivains c’est cette peur du progrès. Chez Machen cela se manifeste par ce « petit peuple » - héritage de croyances celtes datant d’une époque reculée, avant que le christianisme ne s’installe dans les îles britanniques. Il se défend contre les malheureux promeneurs qui ont le malheur d’empiéter sur son territoire. Une critique à moitié déguisée de la modernisation des campagnes et de l’industrialisation galopante du XIXÈME siècle. Ami lecteur, vient voir le Grand Dieu Pan !!!