Léopoldine- 08/03/2022

Un beau roman sur l’Algérie contemporaine

J’ai beaucoup aimé l’idée de ce regard croisé entre le journal intime du héros et la lecture qu’en fait sa femme Mounia. Je trouve ça très fort car ça permet de donner la même intensité aux deux personnages, ce sont deux héros. Ça fonctionne très bien aussi pour rendre la psychologie des personnages : le journal intime permet de descendre au plus profond de la sensibilité, Karim peut tout dire de lui sans être interrompu, et la conversation à sens unique de Mounia permet d’obtenir la même chose, elle peut tout dire de son ressenti, aller jusqu’au bout de son émotion sans risquer d’être interrompue ou contredite. Avec ce procédé d’écriture les deux personnages sont très bien incarnés, ce sont des êtres humains sensibles, déçus par certains aspects de la vie mais qui demeurent acteurs, cherchants. Ils perçoivent le monde avec leur regard d’artiste, ils luttent et cherchent à transmettre leur ressenti. Ils refusent de baisser la garde et de plier devant des concessions qui n’ont pas lieu d’être. Ces personnages sont parfaitement vivants. Ils sont tellement réalistes que le lecteur a l’impression de les connaître, de les avoir croisés chez des amis communs. C’est fort d’avoir réussi à les incarner comme ça ! Une fois qu’on est embarqué dans cette relation complice avec les personnages, on partage leur engagement social, culturel et politique. On vit leur quotidien et leurs attentes. Et là aussi on perçoit plein de choses passionnantes, comme par exemple le statut de cette Algérie qui en a assez d’être toujours perçue comme post coloniale, et qui voudrait qu’on lui reconnaisse le droit d’être tout court. J’aime beaucoup aussi la façon dont le vocabulaire est manié avec humour, l’écriture devient parfois surréaliste et c’est très savoureux pour le lecteur, cela permet aussi de reprendre un peu d’air et de distance avec ce climat de peur et d’oppression que l’on perçoit si bien à d’autres moments. Un très bon livre.